L’esthétique d’un monde endormi
EXTRAIT :
Dimanche 19 avril 2020 – Kanazawa. Et voilà ! Mon vol de retour est annulé. (…) Je n’ai pas très envie de rentrer en France, mais que faire ici en attendant ? Même si la constitution du Japon empêche le gouvernement de confiner la population, l’ambiance n’est pas à l’insouciance. Actuellement, les autorités ont demandé aux seuls habitants de cinq préfectures – les plus peuplées – de rester chez eux ; j’ai toutefois l’impression que tout l’archipel le fait sans discuter. Ici, à Kanazawa, les passants et les voitures sont rares dans les rues. Et quand je sors, j’ai l’impression qu’on se méfie de moi, peut-être parce que je suis occidental et que le Covid-19 sévit en Europe. Ils évitent même de me regarder, comme si le virus se transmettait par le regard.
Oui, que faire pendant les dix jours qui me restent au Japon ? Je n’ai plus trop envie de séjourner à Tōkyō qui est la ville la plus atteinte. Je devais me rendre à Takayama depuis Kanazawa, j’ai cependant appris que le service de cars avait cessé le lendemain de mon arrivée ici. Je comptais ensuite me rendre dans la région du lac Kawaguchi au pied du mont Fuji. C’était sans compter sur la fermeture de l’hôtel que j’avais réservé. J’ai alors pensé à pousser jusqu’à la péninsule de Noto un peu plus au nord d’ici, voire, dans une direction opposée, rendre visite au temple Eihei, près de Fukui. Là, cependant, c’est le prix des logements qui m’a refroidi… Il ne me reste plus qu’à retourner à Kyōto. Je n’ai cependant pas à me plaindre, il y a pire comme destination. Et même si je viens d’y passer quinze jours, il y a encore beaucoup à visiter. Sans parler des deux points positifs : le car roule encore depuis Kanazawa et les logements y sont bon marché, certainement dans le but d’attirer les quelques touristes toujours en vadrouille.
À la gare routière, j’achète mon billet de car pour demain, puis je retourne au quartier Nagamachi, celui des samouraïs. C’est toujours aussi vide. L’aspect remis à neuf du quartier ne m’aide pas à me transporter à l’époque d’Edo, j’ai plutôt l’impression d’évoluer dans le décor d’un film. Sans les figurants.
Je dessine une maison traditionnelle, sans trop de conviction. Je crois que je regrette de ne pas pouvoir montrer le vide autour de moi. Pour une fois, l’absence de personnages dans mes dessins correspond à leur absence devant moi.
Je marche ensuite vers Nishi Chaya Gai, un autre quartier traditionnel. Une unique rue dont l’intérêt est limité, certainement parce que les boutiques sont fermées. Je parcours aussi en vitesse le coin des temples, à côté. L’un d’eux semble valoir le coup, il est fermé malheureusement. J’en ai marre de cette ambiance de ville fantôme. Je rentre à pied par la grand-rue moderne. Tout est fermé. C’est un dimanche perpétuel ! À l’hôtel, je crois bien que je suis l’unique hôte. Il faut voir le bon côté des choses : je ne suis pas embêté par le bruit.
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