L’expérience interdite en Amazonie équatorienne
-EXTRAIT-
Les verres trinquent, les invités cancanent. Ils m’incitent à débattre sur la dernière polémique Twitter. C’est trop tard, je ne suis plus là. Il suffit toujours d’un rien pour que j’y retourne. Mon amie aperçoit ma mine hagarde. « Tu penses à quoi ? »
Je repense à ce soir où le feu crépitait sous la marmite. De là émanait la seule source de lumière qui éclairait notre campement de fortune. « Au dîner, c’est banane plantain », nous avait dit Lucia, une femme drôle et téméraire à la longue chevelure noire. Nicolas, mon copain d’enfance qui m’accompagnait dans cette aventure, et moi sourions. Il n’y avait en réalité pas un jour où le repas ne se constituait pas d’une banane plantain. Parfois, nous avions le droit à de la papa china, une pomme de terre endémique au goût de plâtre, et du yucca, une plante semblable au manioc. Et rares étaient les moments où nous pouvions nous targuer de croquer de la viande.
Ici, on ne mange que ce que l’on chasse, pêche et cultive. Et on chasse et pêche peu. Lucia et son mari, Diego, font partie de la communauté indigène Achuar, et vivent dans un tout petit bout de l’Amazonie équatorienne. Cette nuit-là, nous dormions au bord de la Pastaza, une rivière immense qui mène jusqu’au Pérou. « Bien joué Roberto, ce poisson qu’on partage, c’est celui que tu as tué ! » me félicita Diego, après une journée harassante à débusquer poiscailles et grenouilles pour combler nos estomacs. Ses enfants, eux, fondaient en larmes de douleur. Les fourmis de feu envahissaient leurs corps, nos affaires et nos vêtements. Il faut imaginer les morsures répétées d’un chien minuscule pour réaliser ce que provoquaient ces foutues bestioles.
Ici, on ne mange que ce que l’on chasse, pêche et cultive. Et on chasse et pêche peu.
« On va poser nos sacs de couchage un peu plus loin, sur le sable », proposa Nicolas. « Ok ! Mais si l’eau de la Pastaza monte, vous n’aurez que quelques minutes pour déguerpir. Ayez le sommeil léger », alerta alors Lucia. Comment s’endormir paisiblement de toute façon ? La jungle, qui nous encerclait, singeait toutes les sonorités animales imaginables. Les rugissements, les bourdonnements, les glapissements. Ici, bruit sonnait danger. Là où nous étions, pas d’eau, de chaleur ou de nourriture. Nous gisions dans l’absence de tout ce qui apaise. Survivre fatiguait.
Carnet de voyage en Amérique du Sud de Roberto Garçon à découvrir dans Numéro 59.
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