L'Endurance prise par les glaces en 1915 en Antarctique. Photo SPRI/Frank Hurley.
Carnet de voyage - Antarctique

L’incroyable odyssée d’Ernest Shackleton

Ernest Shackleton a échoué à traverser l’Antarctique. Mais c’est un immense exploit qu’a accompli l’explorateur en sauvant tous les membres de son équipage embarqué à bord de l’Endurance, piégée par les glaces de la banquise en mer de Weddell. Une odyssée de trois ans qui appartient à la légende de l’exploration polaire.

– EXTRAIT –

« Recherche hommes pour voyage périlleux. Bas salaire. Froid glacial. Longs mois de totale obscurité. Danger permanent. Retour non garanti. Honneur et reconnaissance en cas de succès. » Le lieutenant Shackleton annonce la couleur quand il fait paraître cette annonce dans un journal britannique. 5 000 personnes répondent à l’annonce. Il faut dire que Shackleton n’est pas n’importe qui au Royaume-Uni.

Il était officier dans l’expédition Discovery de Robert Falcon Scott, dont l’objectif, entre 1901 et 1904, est de cartographier le littoral de la mer de Ross. Atteint par le scorbut, il est contraint par Scott de quitter la mission. Le coup est dur pour le sous-officier, déterminé à montrer ce dont il est capable.

C’est grâce à l’expédition Nimrod que Shackleton accède à la notoriété en Angleterre. En 1909, avec trois compagnons, il s’approche à cent milles du pôle Sud, en marchant à travers la banquise de la mer de Ross. Jamais personne ne s’était jamais aventuré si loin sur Terre. À son retour, il est anobli par le roi Edouard VIII. Le voilà érigé au rang des célébrités de l’époque qui se lance dans une tournée européenne de conférences. Voici ce qu’écrit le journal La Petite Gironde lors de son passage à Paris. « Quand on voit l’homme, on comprend l’œuvre. La robustesse qu’il lui fallut pour l’accomplir apparaît dans ce corps jeune et sain de bel athlète anglo-saxon. La volonté et le courage se traduisent dans le masque vigoureusement sculpté et dans le regard froid de l’œil clair. »

Il est aussi adoubé par Roald Amundsen. « Sir Ernest Shackleton sera toujours le nom écrit dans les annales de l’exploration en Antarctique en lettres de feu ». En 1911, c’est pourtant Amundsen, et non Shackleton, qui atteint le pôle Sud pour la première fois. Que reste-t-il à découvrir ? Traverser et cartographier le continent blanc de la mer de Ross à la mer de Weddell, près de 3 000 kilomètres à parcourir à pied dans des conditions extrêmes.

Quatre ans plus tard, en 1914, alors que le déclenchement de la Première Guerre mondiale semble inévitable, Sir Ernest Shackleton doit appareiller vers l’hémisphère sud. L’explorateur hésite. « Poursuivez », lui indique Winston Churchill, alors premier Lord de l’Amirauté britannique. Shackleton largue les amarres le 8 août 1914.

Couples, varangues, carlingue et étrave crient leur détresse. Personne d’autre que ces vingt-six hommes bientôt livrés à eux-mêmes ne les entendra. Le bordage tribord est arraché, la coque se soulève et gite à bâbord, les mâts se brisent. Bientôt les premières voies d’eau

En décembre, l’équipage atteint la banquise, beaucoup plus épaisse qu’attendue. Dans son livre L’Odyssée de l’Endurance, Shackleton écrit : « On peut comparer une banquise à un jeu de puzzle gigantesque imaginé par la nature. Les fragments du puzzle flottent d’abord séparément et sans ordre ; puis ils se rapprochent et se soudent les uns aux autres jusqu’à ne former qu’un seul bloc que l’on pourrait si l’on voulait (encore qu’avec peine) arpenter à pied. […] Tout l’hiver, le pack dérivant se transforme : la gelée l’augmente, le flottement l’amincit, la pression le plisse. Si, en dérivant, le jeu de puzzle se heurte à une côte (la côte ouest de la mer de Weddell, par exemple), sous la terrible pression qui s’établit alors, un chaos de blocs, d’arêtes, de haies peut s’étendre sur cent cinquante ou deux cents milles », soit près de quatre cents kilomètres.

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La progression est ralentie. L’Endurance se dégage, repart, se fige à nouveau contre les blocs de glace. Le 19 janvier 1915 au matin, le navire est immobilisé. « L’été était fini et nous en avions à peine profité. La température était basse nuit et jour, la glace nous enserrait toujours solidement. À 2 heures du matin, le thermomètre indiqua – 23 °C. Quelques heures auparavant, un merveilleux brouillard d’or nous était apparu au sud, là où les rayons du soleil déclinant brillaient à travers les vapeurs qui s’élevaient des glaces. […] A l’horizon lointain, la terre se silhouettait encore par beau temps, mais hors de notre atteinte, et vains étaient maintenant les regrets du paradis perdu », consigne Shackleton dans son carnet de bord.

Au printemps, la nuit s’installe. Le blizzard fait baisser la température qui atteint – 36 °C au début juillet. Le carré de l’Endurance est le dernier refuge de ces hommes. Que peuvent-ils espérer désormais ? Le marin Franck Worsley entend la formidable pression que les forces de la glace exercent sur l’architecture du bateau. Couples, varangues, carlingue et étrave crient leur détresse. Personne d’autre que ces vingt-six hommes bientôt livrés à eux-mêmes ne les entendra. Le bordage tribord est arraché, la coque se soulève et gite à bâbord, les mâts se brisent. Bientôt les premières voies d’eau. Le 27 octobre, l’équipage quitte le navire lentement broyé par la banquise et installe un camp de fortune à une centaine de mètres du bateau, récupérant tout ce qui pouvait l’être. Il y a là de la nourriture, du bois et surtout les trois embarcations de sauvetage. Prisonnière des glaces depuis 281 jours, l’Endurance finit de sombrer dans la mer de Weddell. « She’s gone, boys », dit Shackleton à son équipage le 21 novembre 1915.

L’incroyable odyssée d’Ernest Skackleton à lire dans Numéro 61

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