L’intuition du Lesotho
– EXTRAIT –
Cette nuit-là, j’ai rêvé du Lesotho. Le lendemain matin, j’ai regardé une carte, car je ne situais que vaguement l’endroit. C’était en Afrique, c’était un petit pays de montagnes, enclavé au sud de l’Afrique. Une voix intérieure, fort raisonnable, suggéra de lui préférer une autre destination de vacances, jugeant celle-ci peu indiquée, vu qu’il était tout de même question de se reposer désormais. Contre toute attente, sans y prêter la moindre attention, l’intuition m’encouragea, improvisant de séduisantes danses de joie auprès de ces sages pensées.
Voilà donc le récit de cette aventure par laquelle les voix sérieuses, les voix convenables, les voix zélées, assidues et appliquées, se sont tues, par la grâce même du voyage. Et sitôt leur absence constatée, la vie est venue, en personne, se frayer des chemins à travers corps, pour irriguer de ses ruisseaux là où stagnaient les pensées.
Rares sont les enclaves qui sont des pays. Pour tout dire, on en dénombre trois : le Vatican, encadré par la ville de Rome, Saint-Marin, au cœur toujours de l’Italie, et le Lesotho, circonscrit par l’Afrique du Sud, dont la superficie équivaut environ à celle du Liechtenstein, un poil plus petit que la Suisse.
Sa géographie bat en brèche tous les poncifs africains. C’est pour cela, je crois, que je me suis prise d’affection pour ce pays. À l’est, il s’adosse au corpulent escarpement de quartz du Drakensberg, dresse vers le ciel le Thabana Ntlenyana, plus haut sommet d’Afrique australe ronflant à 3 482 mètres, avant de descendre vers les basses terres, découvrant aux aigles et aux vautours des murailles rocheuses, d’amples cascades et des canyons érodés. Aucune topographie ne consent à s’y tenir sous 1 300 mètres. Ce petit pays méconnu possède, en toute humilité, le point le plus bas… le plus haut du monde.
De longues journées administratives s’écoulent, avant d’enfin rejoindre par la route Maseru, capitale du Lesotho. La nuit est tombée au passage de la douane. Je devine la ville par les vitres du taxi. Des hommes, le corps caché sous d’épaisses couvertures, nous frôlent à cheval. Les voitures fatiguées avancent au pas. Je croise des regards inquisiteurs, des silhouettes, des ombres. Je me sens si blanche, éloignée, inquiète pour tout dire. J’entreprends, dès l’aube, le lendemain, de me présenter au Consulat français pour faire part de mon projet de traverser le pays à pied. L’entreprise m’est vivement déconseillée. Les bergers masqués des alpages n’ont pas bonne réputation. En outre, à cette époque de l’année, de nombreux jeunes hommes terminent leurs rites d’initiation dans les montagnes, des viols sont régulièrement rapportés à cette occasion, et plus de 30% de la population est séropositive.
« — Tu nous dis que tu as l’expérience de l’aventure, mais tu connais mal l’Afrique ; ici c’est dangereux, tu sais !
— … !
— Si tu tenais absolument à traverser un petit pays d’Afrique à pied, pourquoi n’es-tu pas allée au Rwanda ? C’est bien plus sûr qu’ici depuis que la guerre est finie, là-bas.
— … ! »
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