
L’usage de la Topolino
– EXTRAIT –
C’est en voyageant qu’on parle voyage, qu’on pense voyage, qu’on rêve voyage et qu’on échafaude le prochain. C’est ainsi qu’en 2018, lors d’un séjour au Brésil, lisant pour la troisième fois L’Usage du monde, je me suis dit que j’allais maintenant mettre en route mon rêve : partir sur les traces de Nicolas Bouvier avec la même voiture. La fameuse Topolinoavec laquelle il partit en 1953 accompagné de son ami peintre Thierry Vernet.
Un périple qui me démange et m’inspire mais qui peine à se concrétiser. Je repousse d’année en année. Le doute s’installe parfois et toutes sortes de raisons viennent torpiller mon projet. Trop dangereux, trop difficile, trop fou. Cependant mon irrésistible envie de partir à l’aventure prend le dessus. Je me dis que les raisons ne doivent pas devenir des excuses ; alors je fixe une date de départ avec deux conditions : même voiture, même itinéraire. A partir de ce moment, tout s’enchaîne avec fébrilité.
Deux ans de préparation ; un véritable voyage avant le voyage. Recherche du véhicule et sa révision, rencontres touchantes avec les familles Bouvier et Vernet, informations sur le trajet, lectures et biographies. Je me régale.
La veille du départ, après avoir démonté entièrement leur Topolino, les deux amis voyageurs la remontèrent pièce par pièce afin de la connaître parfaitement. Alexandra, ma compagne, me dit que je devrais en faire autant. Je lui rétorque en riant jaune que j’ai suivi un cours de mécanique.
La veille du départ, après avoir démonté entièrement leur Topolino, les deux amis voyageurs la remontèrent pièce par pièce afin de la connaître parfaitement. Alexandra, ma compagne, me dit que je devrais en faire autant. Je lui rétorque en riant jaune que j’ai suivi un cours de mécanique.
Tout a trouvé sa place dans le petit coffre. Pièces de rechange, pneus, outillage, lubrifiants, matériel de camping, tout est prêt. La nuit sera courte mais étonnamment bonne. Alexandra m’accompagnera jusqu’en Grèce, ce qui me ravit. Elle m’a toujours soutenu dans ce projet. Elle sait combien il est important pour moi de partir, de quitter mon environnement pour un temps, de rompre avec la routine et de vivre un nouveau rapport au monde.
Samedi 2 juillet 2022
On s’installe en se contorsionnant dans la voiture, tant elle est remplie de livres et de provisions que les invités rassemblés pour le départ nous ont offert. Je pousse le contacteur, actionne la tige du démarreur et le petit quatre cylindres démarre. Nous quittons avec grande émotion la cour de la mairie de Cologny, tout proche d’où vécut Nicolas Bouvier. Dans la clameur et la fumée, nous agitons les mains en signe d’adieux.
Le jeune voyageur mit trois jours pour relier Genève à Zagreb ! Sans doute était-il pressé de rejoindre son ami Thierry à Belgrade. Nous mettrons plus du double pour atteindre la capitale croate. Les rivages escarpés des lacs italiens nous séduisent tant qu’on s’y invite. Après avoir traversé la verte Slovénie, les premières côtes de l’extrême nord des Alpes dinariques font chauffer le moteur dans une interminable montée. La température ambiante nous fait également suer et le moteur commence à pécloter. Inutile de forcer dans les montées, m’avait dit Elio le garagiste. Bien au contraire, tendu à l’idée que l’on soit déjà en panne, je monte pied au plancher à 15km/h dans le but d’arriver au moins au premier col. Il faut s’y résoudre, au milieu de nulle part, le moteur ne répond plus. Ce que je redoutais arrive. Comment peut-on être en panne après seulement un millier de kilomètres ? Je fulmine et suis mal à l’aise vis-à-vis d’Alexandra. Après avoir tout essayé, le nez plongé dans le moteur, rien à faire, il faut appeler un dépanneur.
Nous passons deux nuits chez l’habitant dans un cadre bucolique et paisible où personne ne s’arrête. Nous dénichons ici le meilleur hajvar du pays et dégusterons avec nos hôtes la traditionnelle slivovica à laquelle les prunes locales donnent une saveur inimitable. Contre tout attente, la panne a du bon. Jamais nous n’aurions découvert cette région sans elle. Pour une raison inexplicable, c’est le condensateur qui a lâché ; une fois remplacé par les bons soins du garage de la vallée voisine, nous reprenons la route en direction de Zagreb.
Carnet de voyage de Bernard Naef à découvrir dans le Numéro 62
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