Népal : la servitude des porteurs
-EXTRAIT-
Ils sont heureux, les Américains, ils viennent de trouver une personne qui leur ressemble : au cœur du Népal, près d’un feu de rhododendrons, à 3 000 mètres d’altitude ! En somme, résume l’un d’eux, c’est comme un petit boulot d’été ! Ils sont une quinzaine, autant que les Coréens qui mangent à la table d’à côté.
Tous ont rincé leurs tee-shirts, qui gouttent sur nos pieds, suspendus à un carré de bois autour des tuyaux chauffant l’eau du réservoir pour la douche. La plupart vont au camp de base de l’Annapurna. Ils y rendront hommage à un Français nommé Herzog.
C’est là aussi que va grimper le jeune étudiant Népalais, avec 40 à 50 kilos sur le dos, liés à son corps par une seule lanière ceignant son front. Mais auparavant, il va déclencher une extase en indiquant sa discipline : le management. Aucun doute, le Népal est en voie de développement et le portage n’est plus qu’un « petit boulot d’été » !
À l’exception de ce futur manager, les porteurs n’ont d’autre avenir que de porter. Gravissant moi-même à pas lents les 1 500 marches qui mènent à Ghorepani, je sens leurs pas derrière moi, à une soudaine vibration des pierres. C’est comme une puissance venue d’ailleurs, un roulement de métro, une rumeur plus forte que ma respiration. Il est urgent de s’esquiver.
L’humiliation ne vient pas d’être dépassé par des extra-terrestres. Elle vient du détail de leur charge : deux ou trois sacs à dos boudinés, ficelés les uns aux autres, y compris les bretelles que nous avons l’habitude d’adapter à nos anatomies. J’ai passé des heures à choisir les miennes. De cette technologie coûteuse dont je suis si fier, ils ont fait un paquet informe qu’une seule lanière relie à leur corps par le haut de la tête.
Je me demande ce que peuvent contenir ces sacs à dos transformés en sacs à tête : des tee-shirts propres, des sacs de couchage, des alcools, des cigares, que sais-je ? De quoi fêter le premier 4 000 des Américains et des Coréens, au pied de la grande dame blanche qui les toisera d’autant…
© Récit de voyage de Jean-Pierre Poinas à lire dans Numéro 23
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