Nuits fraîches et ampoules aux pieds autour du Mont-Blanc
– EXTRAIT –
Perché à bientôt 2 700 m d’altitude, pris dans une tempête de grêle comprimant mes moindres mouvements, je me demande bien quelle drôle d’idée j’ai eue d’imposer à mon corps et mon mental une telle épreuve. Depuis un quart d’heure, le brouillard et les gouttes ont bouché tout panorama, nous n’avons pas de nouvelles de deux compagnons que nous avons dépassés dans cette satanée montée du col des Fours, et je cherche tant bien que mal à opposer mon sac à dos au vent glacial pour retrouver mon souffle.
Transi de froid, je me revois quelques années plus tôt, sur les pentes du volcan Guagua Pichincha dominant Quito, après avoir dépassé, en jean et chaussures bateau, les 4 500 m sans rencontrer de problème d’acclimatation et de température. Mieux vaut ne pas y penser tandis que les minutes passent… C’est le moment choisi par mon frère pour débouler dans son éternel T-shirt rouge, impassible aux conditions et se contentant de me gratifier d’un clin d’œil, comme pour me féliciter d’être arrivé là en un seul morceau. Dans un langage bien moins soutenu que mon rythme de montée, mais cependant bienveillant, je l’enjoins de se couvrir car je n’ai guère envie de le trimballer sur mes épaules pour les deux cols restants, avant une longue et technique descente jusqu’aux Contamines-Montjoie.
Roger nous annonce que la descente vers le refuge du col de la Croix du Bonhomme peut être glissante, et que la foudre tombe parfois sur ce chemin.
En écrivant ces pages, j’étais retombé sur la description de cette variante par le col des Fours, comme le présentait le topo-guide de notre père de 1983, année où il avait accompli le Tour du Mont-Blanc – dans le sens antihoraire : « Cet itinéraire est beaucoup plus beau que l’itinéraire normal, il est nettement plus montagnard […] il ne doit être entrepris que par beau temps et par des randonneurs expérimentés. »
En exagérant un brin nos aptitudes, va pour ce dernier critère ; je suis sur le point de demander sa définition du beau temps à Roger, notre guide intrépide, lorsque surgissent enfin nos comparses manquants. Pour nous réchauffer, nous plaisantons avec mon frère – qui n’a toujours pas mis de veste – de la manière dont nous pourrons relater cet épisode dantesque à nos grands-mères tout à l’heure au téléphone, et faire une proposition de changement de nom pour ce col qui n’a rien du piton de la Fournaise. Voulant nous rassurer, Roger nous annonce que la descente vers le refuge du col de la Croix du Bonhomme peut être glissante, et que la foudre tombe parfois sur ce chemin. Quel blagueur ! Hugo, un des deux représentants belges du groupe, lui demande s’il plaisante ? Que nenni ! Rebelote, ascenseur émotionnel et thermique. Après tout, on en est devenus coutumiers et ce, avant même notre départ d’Argentière.
Carnet de voyage de Pierre Péruch à découvrir dans Bouts du monde 55
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