On a roulé sur le ciel
– EXTRAIT –
Voilà des engins qui ne collent pas à la normalité et échappent à toute définition. Une moto indienne Royal Enfield mariée à un panier russe Ural. Un panier russe Ural qui épouse une moto indienne Royal Enfield. Une machine indo-soviet du tonnerre ! L’esprit rebelle s’affirme. Pneus cloutés, peaux de chèvres installées, les montures atypiques ne demandent qu’à être pilotées. Deux fourgons russes font partie du convoi, les mythiques UAZ. Les duos se forment naturellement et ne se quitteront plus. Aller de l’avant avec l’autre. Le side-car, une histoire d’équilibre et de confiance. Pendant le voyage, chacun décidera de l’alternance des rôles et des responsabilités. Soudainement, l’angoisse se mêle à l’euphorie. Et si la glace craque ?
Tout a l’air si beau et serein dans nos yeux de voyageurs romantiques ; pourtant l’hiver est rude et la vie austère. Le vide sidéral de la steppe et la fausse quiétude du lac donnent un aspect hostile à cette région de la Mongolie septentrionale. Le froid demande un engagement total. La glace nous mord. On se doit d’être fort à ces latitudes, on sauve les apparences, on s’habitue aux températures négatives. Devant notre peur de la glace, nous sommes plus impuissants. Rien n’est jamais acquis, encore moins à l’ère du réchauffement climatique. Les Mongols tentent de nous éclairer sur la situation : « Rien n’est sûr, tout est possible ». L’intimidant Khövsgöl est vivant. Et nous, on aimerait bien le rester. Le lac vit, vibre, craque. Notre raison doit nous convaincre qu’on ne risque rien. Au moment de poser pour la première fois les roues sur l’étendue gelée, on a le vertige. Combien mesure la couche de glace ? Quarante centimètres ? Un mètre ? Peu importe l’épaisseur, on espère juste qu’elle tiendra sous les roues du side-car. Et sous celles du UAZ ? Lorsque les pieds touchent le sol, le cœur palpite et le regard se fige tel un aimant sur la glace pour ne pas vaciller. Bulles d’air prisonnières et rainures blanchâtres transparaissent dans le grand bleu et nous sautent aux yeux. Au milieu de notre petite banquise, on boit le café tranquillement, comme si nous avions oublié qu’au plus profond, il y a 260 mètres sous nos pieds.
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