Pédaler au Mangystau
– EXTRAIT –
Tous m’ont déconseillé de venir ici à vélo tout seul. C’est un désert inhospitalier, sans eau, ni âme qui vive. La région du Mangystau est située dans le Sud-Ouest du Kazakhstan, à l’est de la mer Caspienne. Avec un peu plus de 600 000 habitants pour 165 000 km², cette région affiche une des densités de population les plus faibles au monde.
J’ai découvert des photographies de la région fin 2019. Immédiatement, je tombe amoureux du paysage. La pandémie me laisse le temps nécessaire pour me documenter, tracer un itinéraire, trouver des contacts sur place.
En étudiant les vues aériennes, je vois que les pistes tracées par les véhicules sont nombreuses. Cela signifie qu’il y a du passage ! En cherchant bien, je tombe sur des habitations dispersées au milieu de nulle part, des alignements, des yourtes. Bref de la vie ! Je construis un itinéraire où chaque soir j’arrive à trouver du ravitaillement. Mais plus je m’enfonce dans le désert, moins je rencontre de villages ou de maisons…
J’arrive sur place à l’aéroport d’Aktau. Plantée au milieu du désert, cette ville est située au bord de la mer Caspienne, c’est la capitale du Mangystau avec 182 000 habitants. Au XIXe siècle, un voyage vers les rives orientales de cette mer était considéré comme une entreprise non seulement difficile mais dangereuse. Les déserts étaient presque aussi inaccessibles que le Sahara. Et pas seulement à cause du climat très rigoureux ou de l’absence de végétation, ni même à cause des vents brûlants qui soulèvent des tempêtes de poussière. Le problème était qu’il n’y avait pas d’eau potable. En 1850, le grand poète ukrainien Taras Shevchenko, exilé ici par le gouvernement russe, écrivait : « Un désert sans aucune végétation – seulement du sable et des pierres. Vous regarderiez autour de vous et vous vous sentiriez si triste que vous pourriez aussi bien vous pendre. » Le Mangystau était appelé autrefois Mangyshlak une « terre qui a perdu de l’eau ». Maintenant, on l’appelle une « terre qui a trouvé de l’eau ». Aktau sortie de terre dans les années 1960 par des prisonniers du goulag, est la seule ville au monde qui vit entièrement d’eau de mer.
Pour ne pas sombrer dans une panique intérieure, il faut occuper l’esprit : vérifier son chargement, faire quelques photos et trouver un lieu de bivouac
Je suis accueilli par Yersultan, mon contact local. Nous sommes en discussion depuis plusieurs semaines et il s’est occupé d’assurer une partie de ma logistique. Et notamment de me trouver des hébergements chez l’habitant au fil de ma traversée. Comme convenu, nous prenons la direction plein nord. L’extrême monotonie du paysage et la sécheresse qui règnent ici m’impressionnent. Pour l’instant je suis assis dans un véhicule climatisé mais dans quelques temps, je serai livré à moi-même. Après plusieurs heures de route, nous arrivons au bout du Mangystau, sur un plateau rocheux qui domine la mer Caspienne. Il est temps de décharger le matériel et préparer mon vélo. Yersultan m’a apporté de l’eau et de la nourriture pour ce soir et demain. Ma première nuit va se faire ici, comme une veillée d’armes. La voiture s’éloigne, je reste seul ici avec la mer Caspienne en ligne de mire. Désormais, il n’y a plus aucun bruit humain, seul le vent comble le vide immense que je ressens ici. Pour ne pas sombrer dans une panique intérieure, il faut occuper l’esprit : vérifier son chargement, faire quelques photos et trouver un lieu de bivouac.
Carnet de voyage de Cédric Tassan à découvrir dans Bouts du monde 56
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