Guillaume Déreck - Japon à Vélo - Bouts du monde
Carnet de voyage - Japon

Pédaler le nez au levant

Pédaler permet bien des choses, notamment oublier les inutiles questions qui se sont empilées sur le porte-bagages de Guillaume Déreck. Mais au Japon, d’autres interrogations viennent perturber le bruit vagabond de la chaîne de vélo.

– EXTRAIT –

Les paysages depuis le hublot sont avenants. Du vert à tire-larigot, de la pinède, un ciel à faire rougir de honte un Schtroumpf. Tout cela s’annonce sous les meilleurs auspices. Formalités douanières de rigueur.

« Transportez-vous de l’or ?

– J’aimerais bien, mais non.

– Dans ce cas, si votre honorable personne le permet, j’aimerais vérifier le contenu de ce sac.

– D’accord, c’est un vélo.

– Ça alors !»

Rencontre avec l’acolyte ! Embrassade compatriote de rigueur, achat de carte SIM, sortie de l’aéroport. J’aime toujours ce moment où l’on hume pour la première fois l’air d’un pays. Une première fois excitante, chargée de promesses. C’est donc l’air du parking souterrain qui s’engouffra dans mes naseaux. C’est frais, rond en bouche, sain. Bien.

Nous sommes là pour pédaler, il s’agit donc de parer d’atouts d’impératrice ma petite reine. Tiens, la roue arrière ne s’emboîte pas correctement… Curieux. Occupons-nous de la roue avant. Fichtre, elle aussi ne daigne pas s’introduire dans la fourche. Horrible constat : le cadre est tordu. Tout n’est pas perdu, Sapporo étant la capitale du vélo, l’avenir est souriant. Le collègue file vers la ville avec ses pignons flambant neufs, je prends le bus, mon vélo sous le bras et sous certains regards courroucés japonais. L’air de la ville est bon. Revigorant. Une douce brise glaciale fouette les joues. C’est agréable.

Drame & lumière

Les hommes, heureux de se retrouver au départ d’une nouvelle aventure, décidèrent de fêter cela dignement. L’on engloutit des mets locaux arrosés de breuvages maltés. Les discussions allaient bon train lorsque l’équipée fantastique s’engouffra dans l’antre de la tentation, un bar servant une pléthore de bières IPA japonaises. Les yeux brillèrent, de nombreux éclats de rire fendirent le silence guindé du lieu. Les serveurs russes, trouvant ce duo belge fort divertissant, décidèrent de gratifier les Gaulois d’une bonne rasade de vodka pour accompagner l’addition qui fit date dans l’histoire de ce débit de boissons. La soirée fut bonne, bien que fort floue fut la fin.

Nous nous apprêtons à parcourir un petit millier de kilomètres à vélo. Mon collègue s’est vraisemblablement déchiré un muscle du dos en s’étirant hier soir, je me remets d’une sérieuse entorse, un typhon se précipite sur la région, et, dernier petit détail qui a son importance, je n’ai plus de vélo

Le réveil ardu et l’haleine charnue, nous nous dirigeâmes tant bien que mal vers la solution de tous nos problèmes. Le AS Adventure local, pourvu d’une section vélo légendaire. Le vélo pendu à mon épaule, je me rendis compte de ce qu’a dû être le calvaire du Christ. Je précise que la bicyclette est rangée dans un sac conçu pour son « transport ». Il n’en reste pas moins difficile de déplacer la machine qui devrait m’aider à me déplacer.

Nous arrivâmes au Shugakuso, du quartier de Shiroishi. Je déballe mon vélo dans une crainte teintée de honte. Le maître des lieux le regarde en se grattant la barbe. Il fait un rapide tour de l’engin, me fixe derrière ses lunettes, fait un signe de croix avec ses bras. Négation suprême au Japon. Bicycle No! Dans ce genre de moment, je regrette amèrement les affres de la veille. Je n’arrive pas à penser clairement.

Donc résumons : nous nous apprêtons à parcourir un petit millier de kilomètres à vélo. Mon collègue s’est vraisemblablement déchiré un muscle du dos en s’étirant hier soir, je me remets d’une sérieuse entorse, un typhon se précipite sur la région, et, dernier petit détail qui a son importance, je n’ai plus de vélo.

J’ai enfin compris cette sensation de désarroi face à l’échec vacancier que certains de mes amis ont pu expérimenter par le passé. Encore plus frustrant, mon métier, c’est d’organiser des vacances. Bon… Je balaie le spectre des solutions. Rapide et efficace.

« Dites, la Rolls-royce des vélos-voyage-full-options (Surly-Long haul trucker, pour les geeks) que vous avez là, vous la vendez combien ?

– Cher.

– J’achète. Et puis vous mettrez une sonnette dessus s’il vous plaît.

– Pardon ? Heu… D’accord. Laissez-moi prendre vos dimensions… Je pense que je n’ai pas de cadre à votre taille.

– Oui, mais bon… C’est pas le bout si je n’ai pas un truc au centimètre près… Je veux un vélo moi, c’est tout. On ne parle quand même pas d’un soulier lunaire.

– Non Monsieur, je regrette, je ne puis vous vendre ce vélo trop petit. Mon code déontologique m’en empêche.

– Ha oui, on est au Japon. Au Népal, l’on vendrait des Nike à un cul-de-jatte.

– Par contre… »

Et notre maître cycliste de revenir de son arrière-boutique avec un VTT rouge.

« Celui-là je vous le prête pour votre périple, c’est le mien. Il faut juste que vous me le rameniez à la fin. Si vous voulez je peux mettre dessus des pièces de votre épave. »

Et la lumière fut !

Carnet de voyage de Guillaume Déreck à découvrir dans Bouts du monde 49

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