Première étape vers le cap Nord
– EXTRAIT –
Gibraltar, le 28 février 2022. C’est parti ! Ma présence à Gibraltar résonne très fortement avec la guerre qui tonne aux portes de l’Europe, tant ce tout petit rocher, Djebel Tarik, Gibraltar, a été au centre de multiples convoitises au cours de son histoire. Toutes les vicissitudes, tous les tracas que je vais vivre au cours de ce voyage, ne sont rien comparés au drame qui se joue en Ukraine et je pense particulièrement aux Ukrainiens mais aussi aux jeunes Russes embarqués, malgré eux, dans ce funeste désastre humain. C’est aujourd’hui le début d’un voyage de six cents jours de marche. Un sentiment très ambivalent me paralyse et me booste tout à la fois. Je suis heureux de pouvoir démarrer ce chemin, heureux de me retrouver seul et paradoxalement, déjà trop seul. Je ressens un vide, un manque.
Tarifa, le 1er mars 2022. Cimetière d’épaves, cimetière tout court. Glaçant ! Troublant cimetière d’épaves, les restes de plus d’une centaine d’embarcations éparpillées jusqu’à Tarifa et au-delà. Tant de vies déracinées, dans le meilleur des cas. Troublant, dérangeant, le mot juste m’échappe. Innombrables bivouacs abandonnés. Vêtements, bidons, sacs plastique par milliers jonchent la côte. De la terre encore humide sur des pierres fraîchement déplacées. Je sens une présence, mais je ne vois personne. Goûtons la chance de vivre dans un pays en paix !
Il m’est difficile de ralentir. Il m’est difficile de vivre le moment présent. Je dévore les kilomètres comme un ogre, remplaçant une addiction par une autre. J’ai besoin de réduire le rythme, passer en dessous des trente kilomètres en moyenne
Armação de Pêra, le 17 mars 2022. Qu’il m’est difficile de ralentir ! En cette troisième semaine, je suis dedans. Un rythme s’installe. Chaque chose est bien à sa place dans mon sac. C’est très important l’ordre, pour ne rien oublier, quand tous les matins je déménage ma vie. Mais il m’est difficile de ralentir. Il m’est difficile de vivre le moment présent. Je dévore les kilomètres comme un ogre, remplaçant une addiction par une autre. J’ai besoin de réduire le rythme, passer en dessous des trente kilomètres en moyenne, le cap Nord, est encore très loin. Je dois apprivoiser le temps long, travailler l’économie du geste, si je veux réussir cette école buissonnière XXL. Je peine à dompter Maps.me, qui me propose toujours l’itinéraire le plus court. Mon GPS ne connaît pas le beau, le bonheur de marcher sur une plage déserte au petit matin, l’enivrante senteur de l’iode, le bruit des vagues. C’est en fin de compte rassurant que ce précieux compagnon de voyages, reste à sa juste place d’outil d’aide à la décision. Un peu forcé, à contrecœur, il se plie à ma volonté : toujours plus près de l’océan ! Combien de chemins empruntons-nous en automatique, dans nos vies personnelles et professionnelles ? Plusieurs fois il m’est arrivé de rentrer à la maison sans me souvenir du chemin emprunté. A-t-on encore le réflexe de reprendre en main nos vies ? C’est une question que je me pose tous les jours, lorsque je force mon GPS à sortir de son algorithme de confort. Et nous, quand sortons-nous de nos algorithmes ?
Carnet de voyage de Christophe Vesco à découvrir dans Bouts du monde 55
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