Marie Demont - Carnet de voyage dans le Lot
Carnet de voyage - France

Prendre la clé des champs dans le Lot

Pendant une semaine, Marie Demont est entrée en conversation avec le Lot. Tous les sens en éveil, elle a ressenti l’ivresse des chemins creux, peu habituée à tant de liberté, tant de possibles, tant d’espaces.

– EXTRAIT –

Jour 1. Maillebois – Figeac – en covoiturage. Figeac – La Cassagnole – 5 km.

Partie dans la nuit et sous la pluie, je traverse la France en covoiturage. Une fois encore, la providence accueille mon aventure. Le conducteur s’appelle Pierre, il est un de ces gentils qui, même désabusé par la société, ne peut s’empêcher de s’ouvrir, de s’émerveiller et d’espérer. Puisque la route exige de l’éphémère, les langues se délient plus facilement, la complicité s’installe entre nous deux, étrangers, et nous nous quittons en fin de parcours, tout ébahis d’avoir su nous apprivoiser en sept heures de trajet. À l’arrivée dans le pays de son enfance, il n’a cessé de multiplier les pauses comme s’il était l’hôte et cherchait à me vanter les richesses de la région.

Nous nous arrêtons en belvédère au-dessus de la Dordogne, occasion de saluer la Grande Dame, génie en quelque sorte du pays, puis au village de Martel pour déjeuner sous ses tours de pierre, et enfin détour chez le meilleur boulanger du coin ; il me fallait une belle miche de pain pour la vadrouille à venir. Il conduit comme il converse, parlant de ses doutes, de ses étincelles, du théâtre qui l’a sauvé, de ses racines d’Auvergnat, de son père facteur qui marchait de village en village et roulait les « r » de son patois.

J’entends encore le bruit des hommes et me surprend à me cacher comme un animal traqué. Je n’invente pas aussi aisément ma liberté ! A-t-on le droit de s’enfoncer ainsi dans le sauvage, loin de tout plan programmé et de nos aliénantes sécurités ?

Presque saoule de tout cet échange, je pose le pied à terre sur la grande place de Figeac, reçoit de lui une écharpe blanche, geste spontané qui me rappelle les fines étoles sacrées que les bouddhistes offrent aux voyageurs. Je me renseigne à l’office du tourisme sur la météo de la semaine, demande la porte de la ville par laquelle partir et j’entame le chemin.

Je cueille un brin de chèvrefeuille qui parfumera ma tente ce soir, geste essentiel pour la longue conversation que j’entame avec le Lot. Hors la ville, je découvre vite les petits sentiers enclos de murets de pierres blanches, les cazelles abandonnées dont j’hésite à faire mon abri, craignant que les serpents n’aient la même idée, puis m’installe au coin d’un champ sous trois chênes. C’est déjà le soir. Je cueille quelques mûres sous le museau de trois grosses vaches rousses bouclées qui seront mes seules voisines. Dans un champ, il faut s’installer dans le sens du sillon pour pouvoir allonger son corps. Réconfort de se sentir bordée par les remblais de terre, sarcophage paysan. J’entends encore le bruit des hommes et me surprend à me cacher comme un animal traqué. Je n’invente pas aussi aisément ma liberté ! A-t-on le droit de s’enfoncer ainsi dans le sauvage, loin de tout plan programmé et de nos aliénantes sécurités ? Je ne suis pas encore à l’aise devant tant de possibles et d’espaces. Je suis seule.

Jour 2. La Cassagnole – Faycelles – Beduer – Boussac – Corn. 18 km.

Au petit matin, ouvrant ma tente, je ne m’attendais pas à trouver ce paysage fantôme… Depuis cette tente que j’avais à dessein orientée vers le soleil levant, je ne vois plus rien, plus de soleil, plus de vallon, seulement un jour blanc, une brume qui estompe les silhouettes des gros noyers, qui emperle les œuvres des araignées et qui fait ruisseler mon abri. Je tousse, j’ai eu froid cette nuit…mais cette douceur blanche atténue toutes les difficultés et s’infiltre jusque dans mon cœur, le tapissant de bienveillance devant cet événement inattendu que l’aube m’offre, à moi seule, vagabonde du point du jour.

J’ai traversé une forêt hantée où je n’osais respirer : chaque buisson de buis était envahi d’une épaisse mousse filandreuse et presque phosphorescente.

C’est l’automne en ce Lot, lieu ouvert au grappillage. Ma route se goûte : figues pourpres éclatées sur l’arbre que les oiseaux ont déjà picorées, mûres qui tachent autant de fruit que de sang, que des buissons féroces bataillent au passant, raisins abandonnés au soleil d’hiver et à la gelée de l’aurore, noix au sol en telle abondance que les écureuils ont renoncé à la cueillette. Ce n’est pas un besoin qui me fait récolter, c’est la nécessité d’honorer le Beau et le Bon que la nature ne cesse de m’offrir. On ne refuse pas à un tel hôte qui insiste et qui me présente à n’en plus finir la poire, la pêche, la noisette comme le plus précieux des plats.

Pour parfum aujourd’hui j’ai choisi la menthe, ce couvre-sol que je foule allégrement pour rejoindre la petite source recueillie dans une auge de pierre. C’est là que je fais ma toilette de chat, eau fraîche qui rit toute seule, soleil qui se réveille tard. Je réchauffe mon thé dans la bastide de Faycelle, ressentant une liberté aussi immense qu’elle s’exprime en des choses bien menues : casser la croûte dans un vallon de fougères et de fées, attendre que la toile de tente sèche, regarder les nuages se former. Ne pas avoir son téléphone, sa dose de mails ou d’informations mondiales. Ne pas être séparée de l’ici et du maintenant par des barricades d’amis, d’habitudes, de prévisibles. Être là. Mousses, lichens, fougères : je suis là !

Le soir, il n’y a plus aucun bruit, je peux entendre les battements du faucon pèlerin à vingt mètres au-dessus de moi. J’ai remonté une sente pour m’éloigner des hommes et du chemin. J’ai traversé une forêt hantée où je n’osais respirer : chaque buisson de buis était envahi d’une épaisse mousse filandreuse et presque phosphorescente. Cette végétation aux troncs tordus et aux cheveux épais ne laissait passer la lumière qu’en rais tamisés. J’avais trouvé un plateau enherbé, espace possible pour la halte de nuit, mais un cri dans les bois, des corbeaux inquiets se posant sur les faîtages envoûtés m’ont fait fuir, plus haut, toujours plus haut. Je trouve enfin un bout de ciel dégagé : voir une étoile m’aide à retrouver mon souffle. Je défais le sac et monte mon abri. Je m’y réfugie, pas totalement sûre que la sorcière du Bois de Buis Moussu ne m’y découvrira pas.

Carnet de voyage de Marie Demont dans le Lot à découvrir dans Bouts du monde 55

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