Promenade au parc
– EXTRAIT –
Les villes chinoises ne sont pas spécialement réputées pour la quiétude de leurs centres-villes. Il reste cependant quelques quartiers anciens où les gros véhicules peinent à se faufiler, une poignée de hutongs à Pékin, où l’on peut écouter par moment le bruissement du vent dans les feuilles des peupliers, et autant de lilongs, à Shanghai, où l’on peut entendre ronfler des petits vieux assoupis sur un banc devant leur porte d’entrée. Certains centres de mégapoles sont plus accueillants que d’autres, à Guilin ou à Xi’an par exemple, mais dans l’ensemble, marcher sur les boulevards ou dans les avenues n’est pas une sinécure. C’est pourquoi, quotidiennement, comme beaucoup d’habitants serrés dans leurs logements minuscules et harassés par le vacarme général, je vais faire un petit tour dans les jardins publics pour souffler.
Bien souvent, dès l’entrée, j’entends le son du violon traditionnel à deux cordes, le erhu. Le musicien est installé à l’abri d’un pavillon au bord du lac ou au sommet d’une butte artificielle qui fait office de montagne (shan). Ces kiosques portent généralement un nom très inspirant et fleuri. Le violoniste joue, cette-fois-ci, un air connu de Lune d’automne sur le palais des Han dans le kiosque du parfum de la neige et des nuages bénéfiques ou dans celui des trente-six canards mandarins.
Les musiciens pratiquent aussi des instruments plus récents. Dans le parc Taoranting, à Pékin, des accordéonistes du quartier se retrouvent pour suivre des cours et jouer ensemble chaque jour de temps clément.
Des humains aussi serrés que les fruits d’une ombelle de fatsi semblent avaler les quatre joueurs de mah-jong penchés sur leur table en ciment. On ne plaisante pas avec le mah-jong. J’ai vu en Chine quantité d’activités apparemment plus sérieuses, dans les administrations notamment, où les travailleurs faisaient preuve de beaucoup moins de concentration qu’un joueur poussant sa tuile.
En continuant l’allée asphaltée, je croise un couple de personnes âgées déroulant avec lenteur et assurance les figures du tai-chi-chuan. Et quand l’allée débouche sur une placette dallée, il n’est pas rare d’y voir un homme peindre au sol avec un gros pinceau trempé dans un seau d’eau. La technique du dishu est d’une beauté sans nom. Chaque caractère d’un poème est tracé sur une dalle et quand l’artiste peint le dernier, le premier vient de s’évanouir en séchant. Le summum de l’art éphémère !
Dans ce décor shan-shui de montagne et d’eau, il se trouve que cette dernière gèle pendant l’hiver dans le Nord de la Chine. Je me suis donc essayé un jour à la pratique de la chaise glissante sur les lacs glacés, sur celui d’un parc de Chengde en particulier. Cette discipline convient parfaitement à ceux qui, comme moi, ont conservé le souvenir cuisant de culbutes immédiates et douloureuses en chaussant des patins. Là, il suffisait de m’asseoir et de pousser avec deux tiges de métal. J’avançais à la vitesse de la légendaire Tortue noire, symbole intéressant en pareil cas puisque c’est celui de la longévité et de la persévérance, sous le regard amusé des habitués qui dégainaient leurs téléphones portables pour photographier la scène insolite : un touriste étranger cachant sa maladresse derrière un sourire niais.
La promenade dans le parc continue sous les cascades des branches de saules pleureurs. J’entends, venant de derrière un buisson de cotonéaster, les cliquettements du jianzi, une sorte de petit plumeau équipé de rondelles de métal que les joueurs se lancent avec les pieds. Encore plus loin, toujours à l’ombre mais dans le silence, des humains aussi serrés que les fruits d’une ombelle de fatsi semblent avaler les quatre joueurs de mah-jong penchés sur leur table en ciment. On ne plaisante pas avec le mah-jong. J’ai vu en Chine quantité d’activités apparemment plus sérieuses, dans les administrations notamment, où les travailleurs faisaient preuve de beaucoup moins de concentration qu’un joueur poussant sa tuile.
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