Requiem pour un biclou
– EXTRAIT –
Je l’aimais bien cette bicyclette. On pourra dire que je lui ai fait des misères, mais ce n’était pas de la rosserie. Simplement parfois je la poussais à bout, comme une femme qu’on adore, on veut savoir jusqu’où on peut aller… Ce qui me chagrine le plus n’est peut-être pas de l’avoir perdue mais de ne pas savoir entre quelles mains elle est tombée… Ils vont me l’amocher, c’est sûr… Ils vont la maquiller et la revendre au premier venu, aux puces ! Quelqu’un qui n’aura aucun respect, qui ne s’en servira jamais… C’est terrible toutes ces vieilles bécanes qui meurent au fond des caves dans l’odeur d’urine.
Moi et ma bécane au moins, on menait joyeuse vie ! Comme on louvoyait malicieusement entre les voitures dans les embouteillages à la Porte de Vincennes, rue du Faubourg Saint-Antoine, à Saint-Michel, à Châtelet ! Quelle vie tous les deux ! On était comme du vent. Je t’aimais bien, ma bicyclette ! Dieu sait que je t’ai bichonnée ! Je t’en ai donné des coups de torchon sur les tubes tout boueux ou pleins de poussière… Aucun vélo amical n’a été autant chouchouté que toi.
Je peux dire que c’était la plus belle bicyclette de Paris. C’est pour ça que j’ai pleuré après qu’ils me l’ont volée, tout à l’heure ! J’avais là une copine sans pareille. J’étais sorti fringant, fier comme Artaban, à sept heures ; même dans la nuit une maman a dit à son mouflet : « Regarde, Jonathan, le beau vélo ! » Et il avait zieuté admirativement mon engin si épatant. J’étais content. On s’est souri, sa maman et moi. Mais déjà tu filais, ma bicyclette, aussi maline qu’un zéphyr, aussi gazante !
Récit de Simon à découvrir dans Bouts du monde 49
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