Rouler sur la M41
EXTRAIT :
Je mets trois jours à monter sur le plateau du Pamir, mon vélo chargé en provisions et vêtements chauds trouvés dans le bazar de Khorog que je viens de quitter. Lentement, je passe des 2 200 mètres d’altitude de la ville aux 4 270 mètres du Koi-Tezek, le col qui me permettra d’atteindre le plateau. Pendant les deux premiers jours, les arbres d’automne qui m’avaient tant charmé depuis Douchanbé continuent à colorer le paysage. Je passe par de petits villages encore irrigués par des rivières qui déboulent de la montagne et dans lesquelles je peux boire directement. Je vois là les dernières petites exploitations agricoles avant le désert du Pamir tout là-haut. Plus j’avance, plus les cimes enneigées que je voyais depuis Khorog se font imposantes. Je campe au bord de la rivière et le soir, le soleil disparaît vite derrière les cimes, illuminant parfois un petit carré de neige là-bas, très haut. Très vite, le froid m’enveloppe et il est temps de m’emmitoufler dans mon duvet et sous l’épaisse couverture que j’ai achetée au bazar.
Dans la petite épicerie du village, je ne trouve littéralement rien, ni légumes ni Snickers, seulement une boîte d’allumettes des temps soviétiques que j’achète par acquit de conscience.
Après deux jours, j’arrive à Jelondy, éloigné d’une centaine de kilomètres d’Alichur, le premier village du plateau. L’air se rafraîchit encore et les arbres se font de plus en plus rares. Je commence à sentir l’air glacial passer à travers les baskets de mauvaise qualité que j’ai achetées à Douchanbé, la capitale du Tadjikistan. J’ai emmailloté mes pieds dans des sacs-poubelles, j’ai enfilé trois paires de gants, mais rien n’y fait. L’air pénètre partout. Là, on m’avertit du froid qu’il fait là-haut et le passager d’un taxi 4×4 m’offre son épaisse paire de chaussettes en laine que j’enfile aussitôt. Dans la petite épicerie du village, je ne trouve littéralement rien, ni légumes ni Snickers, seulement une boîte d’allumettes des temps soviétiques que j’achète par acquit de conscience.
Passé Jelondy, les arbres disparaissent définitivement. Je continue mon ascension les pieds quelque peu réchauffés. Mais au loin, devant moi, le ciel devient de plus en plus menaçant. L’oxygène se fait rare, je m’essouffle et le blizzard se lève. La neige tombe dru et vient me fouetter le visage. La route devient glissante. J’ai du mal à pédaler. Je mets le pied à terre et commence à pousser mon vélo, lentement saisi par le froid. Pour la première fois de ma vie, je fais l’expérience de ce qu’est le manque d’oxygène en altitude : on s’essouffle pour un rien et le moindre effort paraît insurmontable.
Peu habitué à ces conditions, je sens l’adversité que représentent les jours que je vais devoir passer là-bas, encore plus haut et déjà, je me décourage, espérant, au fond de moi, trouver un camion qui veuille bien me mener aussi loin que possible de cet enfer où je ne m’imagine à aucun moment bivouaquer.
Carnet de voyage de Damien Cahen à découvrir dans Numéro 48
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