Sâdhus
– EXTRAIT –
Après trois intenses semaines de prises de vues dans l’incessant tumulte mystique de la Kumbh Mela d’Haridwar, je décide de partir deux jours sous les cieux plus calmes de Rishikesh à trente kilomètres en amont. La ferveur du plus grand rassemblement religieux au monde, le bruit et la poussière ont eu raison de moi et un peu de sérénité est nécessaire avant mon retour en France. (…)
Au matin de mon départ, je me trouve sur une plage tranquille en bordure du fleuve. Un Naga sâdhu s’assoit à proximité. Ananda Baba, son nom signifie Félicité, a des yeux bleus d’une grande douceur. Il porte ses cheveux en longues jathas qui lui arrivent jusqu’aux cuisses et la robe orange des adorateurs de Shiva. L’homme s’avère passionnant et s’exprime dans un anglais impeccable, chose rare pour un Sâdhu. Nous passons la journée à échanger sur mille sujets, des plus sérieux aux plus inattendus.
Nous évoquons les problèmes de ce monde, la possibilité d’une vie extraterrestre, le goût incomparable d’une mangue mûre ou encore les récits épiques du Mahâbhârata et les enseignements de la Bhagavad-Gita. Lorsque la chaleur se fait trop sentir, nous nous baignons dans le Gange. Quand vient la soif, nous buvons quelques chaïs. Ce thé au lait sucré et brûlant parfumé de gingembre et de cardamome accompagne toute bonne conversation en Inde. (…)
Aujourd’hui, il parcourt les routes de l’Inde. Il part d’ailleurs, dès le lendemain, accomplir le Yatra vers Badrinath, un pèlerinage traditionnel à pied jusqu’aux sources du Gange. J’ai rarement eu le sentiment de faire une rencontre si déterminante. (…) Je crois que c’est à ce moment que la graine a germé dans mon coeur et je me promets alors de réaliser ce pèlerinage à pied aux sources du Gange…
Un an plus tard, je suis de retour à Rishikesh, assis sur une petite plage de sable clair, face au Gange, je me remémore les événements qui m’amènent ici : mes trois précédents voyages consacrés à photographier les Sâdhus, ma promesse de faire un livre sur eux et surtout, cette rencontre avec Ananda Baba…
Je dors très peu la nuit qui précède mon départ. Est-ce la pleine lune ? L’excitation du premier pas tant attendu ? (…)
Dix kilomètres de marche, premier village. Boire un chaï s’impose ! Des villageois, curieux, viennent à la rencontre de l’étrange pèlerin que je suis. Puis, trois Sâdhus finissent par arriver. (…) Hormis leurs vêtements légers, ils ne possèdent qu’un petit sac chacun, transportant l’ensemble de ce qu’ils possèdent. Ils me font penser aux Clochards célestes de Jack Kerouac.
C’est ainsi que dès le début de mon voyage, je marche avec les Sâdhus vers les sources du Gange ! Nous empruntons des sentiers escarpés, ils ont parfois bien du mal à avancer sur les pierres, chaussés de tongs ou de pantoufles. L’un d’eux va même pieds nus ! La chaleur est dantesque en ce début d’après-midi, nous nous abritons régulièrement sous des arbres pour souffler.
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