Se réfugier dans les highlands
-EXTRAIT-
Sur une petite table ronde, un livre m’interpelle. Une couverture avec un paysage de montagne, une maison grise en pierre sous un ciel de plomb. The Scottish Bothy Bible, tout un programme. J’interpelle ma voisine de table, Margaret, en lui demandant de m’excuser pour mon anglais hésitant, pour tenter de comprendre la signification de ce mot affiché ostensiblement en grand : bothy. Je comprends qu’il s’agit d’un refuge de montagne. Mon accent étranger l’interpelle et nous engageons plus avant la conversation. « Je n’y suis jamais allée… » me glisse-t-elle doucement, un peu gênée, alors que j’évoque l’ouest des Highlands, ma destination, et notamment l’île de Skye. Dans ce petit salon de thé de Braemar, au cœur des Cairngorms, elle s’étonne du fait que ce ne soit pas mon premier voyage, loin s’en faut, alors qu’elle l’Écossaise, habitante d’Edinbourg, n’a jamais vraiment mis les pieds au plus profond des Highlands. « Vous savez ce que c’est, on va souvent voir ailleurs… ». Elle semble m’interroger du regard, pourquoi venir et revenir encore dans ces contrées désertes et sauvages ?
La lumière, qui fait ce pays, fabuleuse, inattendue et espiègle, fait oublier tout ce que l’on a pu apprendre d’elle et les grandes théories. Ici la lumière n’obéit à aucune règle, elle est seulement rebelle.
Je pourrais lui raconter qu’ici en Écosse et tout particulièrement dans les Highlands, le rapport à la matière n’est pas le même. Il n’est pas habituel. Il est modifié. La roche et le minéral y tiennent une place prépondérante, comme dans tous les paysages primordiaux. Mais ce qui surprend, c’est le végétal, il s’efface et s’estompe, il n’est pas proéminent, il n’impose pas sa présence chlorophyllienne comme dans tant d’endroits, sa force verticale, sa dimension spatiale, son étreinte. Et c’est comme si le vent et l’eau, l’eau des rivières, l’eau du ciel, l’eau de la mer, occupaient avec force la place laissée vacante, d’une présence massive et grandiose. L’eau du ciel… je pourrais presque lui avouer que la pluie est rarement arrivée à me désoler, même quand le pays se prend à dégouliner dans tous les sens au point que, goguenard, on se dit qu’il pourrait bien être responsable, à lui seul, de la montée du niveau des mers à l’échelle entière de la planète. Mais la pluie sait rendre blanches et cristallines les roches les plus noires et les plus ténébreuses, à la faveur d’un reflet solaire, qui traverse la distance comme un cristal d’une puissance que l’on ne peut mesurer, et dont on ne peut sortir indemne. La lumière, qui fait aussi ce pays, fabuleuse, inattendue et espiègle, qui fait oublier tout ce que l’on a pu apprendre d’elle et les grandes théories. Ici la lumière n’obéit à aucune règle, elle est seulement rebelle.
Carnet de voyage d’Emmanuel Boitier à découvrir dans Bouts du monde 58
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