Sibérie : Iakoutsk n’est pas une ville pour les Hommes
L’hôtesse parle dans le micro. Il faut faire attention aux coffres à bagages, elle espère nous revoir sur les lignes de la compagnie sibérienne et il fait – 46 °C. La porte de l’avion s’ouvre. À ce moment précis, on regrette d’avoir quitté Paris en chemise de coton. Iakoutsk est la ville la plus froide du monde, janvier est le mois le plus froid de l’année et il va falloir trouver un taxi. Il est cinq heures du matin. L’air brûle la trachée. Taxi ! Léon, le chauffeur, est content de voir des Français : « La Iakoutie mesure six fois la France et nous sommes un million. » Comment se tenir chaud lorsque l’on est si peu ?
À neuf heures et demie, aube frileuse. Le soleil perce dans le ciel blanc : un lumignon blafard dans un congélateur. Les fumées des usines développent leurs panaches. La ville est plantée de colonnes vaporeuses. Les arbres, les fils électriques, les bulbes et les lampadaires sont gainés de gelée blanche. Même le minaret de la mosquée, construite il y a dix ans pour les immigrés d’Asie centrale, est meringué de glace.
Il est dix heures, les gens se rendent au travail. En hiver, on dort beaucoup. On rattrapera la vie pendant les mois d’été, transformés en fête. Ce matin, Iakoutsk est un palais de glace traversé à pas précautionneux par des silhouettes en manteaux de fourrure. Dans la rue, pas un clochard ni un ivrogne. Ne pas en conclure que le froid extrême règle les problèmes sociaux. Les pauvres squattent les halls d’immeubles et les souterrains chauffés. Sur la place de la Victoire de la Grande Guerre patriotique de 1941-1945, des enfants se lancent des boules de neige. Au-dessous de -45 °C, par sécurité, les écoliers sont dispensés de cours. Ils en profitent pour jouer dehors.
Carnet de voyage de Thomas Goisque et Sylvain Tesson dans le Bouts du monde n° 21.
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