Sortie de secours
– EXTRAIT –
Je ne me souviens pas comment on fait pour partir, comment on passe d’une chaise à un quai. Je sais seulement que je suis à un pas de quitter cette chère vieille affaire, la Terre, et qu’il n’y a rien de mieux que les voyages en mer pour disparaître. Je fais le pas, je grimpe les marches. Le marin dit bonjour, il dit plutôt hello, et je me sens étrangement libre d’être désormais captive de la grande carcasse de fer.
Me voici enfin devenue une chose insignifiante, minuscule fourmi à bord d’un des plus gros bateaux du monde, un porte-containers dont le pourtour frise le kilomètre ; je suis au Havre et je pars pour Malte, la Méditerranée, les pirates pourquoi pas.
Je ne sais pas encore que ce pas sera suivi d’autres qui seront parmi ceux qui changent la vie, et que je reviendrai disparue. Je ne sais pas encore que ce pas ne s’arrêtera pas. Ce n’est qu’un pas, que je fais, nous sommes en décembre et il fait froid, nuit, pourvu que je n’aie rien oublié d’important à terre. Dans ma poche, un bloc-notes.
Dans mon sac, un appareil photo. Je réitère la classique entreprise du reporter, je me sens de la partie, tout oeil dehors et très Tintin ; je ne verrai ni les voiles ni le soir, mais les humains j’espère, et le bleu, la démesure du commerce international, sa folie, et les détails qui font qu’ici comme ailleurs on est inquiet et prisonnier.
Je ne sais pas encore que ce pas sera suivi d’autres qui seront parmi ceux qui changent la vie, et que je reviendrai disparue. Je ne sais pas encore que ce pas ne s’arrêtera pas
Récit de voyage de Marianne Rötig à lire dans Numéro 41
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde