Dans la tête et le cou de l’oiseau
– EXTRAIT –
Amatrice de voyages naturalistes en terres tropicales, je rêve, comme beaucoup, depuis longtemps, de la Papouasie comme d’une terre promise de forêt primaire regorgeant de pépites préservées de l’appétit de l’Homme. Lectrice de beaux livres d’images, je me suis émerveillée devant les magnifiques oiseaux de paradis (« les plus beaux habitants emplumés que connaisse le monde », selon Alfred Russel Wallace). Dessinatrice portraitiste adepte de rencontres culturellement éloignées, je me suis imaginée me frotter à une altérité extrême, dans des villages papous traditionnels, épargnés par la mondialisation.
Plongeuse à mes heures, j’ai écouté les récits de mes homologues du monde entier, vantant LA destination entre toutes, un eldorado du plongeur : l’archipel des Raja Ampat, un chapelet d’îles qui s’étend au nord-ouest de l’île de Nouvelle-Guinée. Alors quand, un beau jour, m’est faite la proposition de joindre une expédition naturaliste dans cette région du monde, sur une goélette traditionnelle indonésienne, mon sang ne fait qu’un tour et je me sens infiniment chanceuse. L’expédition emmènera des naturalistes, des photographes, des vidéastes, et on me propose le poste de dessinatrice d’expédition, comme au temps des explorateurs.
Nous partons sur les traces du naturaliste et explorateur britannique Alfred Russel Wallace, contemporain de Charles Darwin, et qui a visité la région de 1854 à 1862. Il y collecta beaucoup d’échantillons entreposés aujourd’hui dans des muséums, décrivit de nouvelles espèces, et développa sa théorie de la radiation et de l’évolution et des espèces, indépendamment des travaux de son ami Darwin, même si l’histoire retint davantage les travaux de ce dernier. Il fut l’un des pionniers de la biogéographie, et resta surtout célèbre pour sa « ligne de Wallace », ligne invisible qui délimite les faunes orientales et australiennes, passant entre les îles de Bali et Lombok, entre Bornéo et Sulawesi, et entre Sulawesi et les Philippines. Il fut aussi l’un des premiers environnementalistes, conscient de la fragilité de la nature et de la nécessité de la protéger.
19 décembre 2016. Je n’ai jamais fait de voyage au long cours en mer… Alors, après un interminable voyage de 6 avions (Paris-Hong Kong-Denpasar-Surabaya-Manado-Sorong), quel bonheur d’embarquer enfin à bord du Cahaya Mandiri, un lambo traditionnel de 27 mètres, construit à Sulawesi en teck et bois de rose… Notre maison et notre lieu de travail pour un mois. Pour une fois en voyage, il va être possible de défaire pour de bon son sac, investir sa cabine, et installer un semblant d’atelier. Nous découvrons l’équipage indonésien (Faryd, Edy, Bas, Suha, Man, Karman, Dondy) mené par Julien, guide de l’expé et capitaine du bateau, secondé par Gérald. Le premier briefing a un effet complètement euphorisant, quand nous évoquons, penchés sur les cartes marines de la région, tout ce que nous pourrons avoir la chance de croiser sur terre ou en mer… requins-baleines, raies manta, peut-être cachalots et dugongs, paradisiers, kangourous, casoars, requins de récifs, hippocampes pygmées, lac de méduses… je suis excitée comme une puce et peine à trouver le sommeil, sur le pont du bateau où nous dormons tous ensemble à la belle étoile.
© Carnet de voyage de Stéphanie Ledoux à découvrir dans Numéro 30
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