Tout dessiner, pédaler partout
– EXTRAIT –
Il y a dans l’impertinence de ce choix de déplacement, ce mélange d’audace et d’innocence de vouloir dépasser l’horizon, l’appétit insatiable d’avaler les kilomètres, de ne faire qu’une bouchée d’une montagne et la satisfaction, le soir, de n’avoir avancé que d’un petit centimètre sur une carte en papier. (…)
Ne parlant pas vietnamien, dans un pays où l’anglais est très peu utilisé, on ne peut pas dire que les interactions nouées avec la culture locale aient été soutenues. Au cœur d’une population pourtant très accueillante, souriante et respectueuse, à défaut de toujours comprendre nos mots, nous nous contentions de communiquer par les regards, les sourires, en partageant un thé ou un moment de vie quotidienne en silence. Je suis rentré convaincu que la parole n’est pas toujours nécessaire à la compréhension et à la communication.
Aucun compromis. Je dormais quatre heures par nuit, pédalais en moyenne une centaine de kilomètres par jour et dessinais comme un forçat.
Dans ce contexte, l’expression « seul face à soi-même » a pris tout son sens, et ma défense a été radicale : mouliner, m’épuiser à pédaler, dessiner à m’endormir sur ma feuille. Quelle surprise, alors que je pensais aller à la rencontre de mon moi intérieur comme tout aventurier qui se respecte, j’ai tout mis en œuvre pour m’éviter le travail introspectif propre au voyageur solitaire. Abandon de poste devant l’ennemi : la peur de l’engagement face à moi-même m’a mis en fuite. En psychologie, ce phénomène s’exprime selon trois canaux : fuite géographique, artistique et chimique. Je les ai toutes faites miennes, alternant entre la boulimie des kilomètres, l’appétit des planches à dessin et la recherche des doses d’endorphines libérées durant l’effort. Aucun compromis. Je dormais quatre heures par nuit, pédalais en moyenne une centaine de kilomètres par jour et dessinais comme un forçat. Alors qu’un voyage à vélo invite par nature à la philosophie de la lenteur, que la pratique du dessin inspire l’observation et la contemplation, je n’ai jamais autant dérogé à la règle, jusqu’à l’épuisement.
Carnet de voyage de Jérémie Bonamant-Téboul à découvrir dans Bouts du monde 49
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