Transsibérien : à travers la grande terre endormie
– EXTRAIT –
Au départ de Moscou, nous partons en direction de Tioumen et entamons notre première incursion sur le tracé mythique du Transsibérien. Pendant plus de trente-cinq heures, cette étape, profondément dépaysante, transforme notre wagon en un espace semi-privatif intime, une sorte de micro-isba nomade. Nous attendons avec impatience les multiples arrêts qui ponctuent notre itinéraire, profitant de ces moments fugaces pour savourer des beignets brûlants, avant d’être rappelés à l’ordre par les provodnista, ces hôtesses qui veillent à toute heure du jour et de la nuit sur les passagers. Ces dernières dirigent leur wagon d’une poigne assurée, autoritaire. Nous nous laissons bercer par le doux roulis du train, accompagnés par le bruit étouffé et lointain du samovar qui fait bouillir l’eau du thé que nous buvons en quantité durant tout le trajet. Cette agréable phase du voyage nous immerge dans des contrées tant désirées et fantasmées : après avoir franchi l’Oural, nous découvrons la Sibérie occidentale, un monde empli d’une inquiétante étrangeté, teinté de mystères, où les distances sont telles que l’horizon s’évanouit dans les brumes.
Une vieille babouchka au regard plein de sagesse et de curiosité s’approche de nous, ses mains se mouvant dans une gestuelle qu’il nous faut apprivoiser pour comprendre le sens de ses questionnements. Ainsi sont les conversations à bord du train, parfois fluides, parfois indéchiffrables.
Tioumen > Tobolsk
Après avoir passé la nuit à Tioumen, cité austère aux artères immenses, nous reprenons notre route. Contrairement aux longues et périlleuses traversées d’autrefois, notre odyssée en train se déroule dans un relatif confort.
Voyager en troisième classe nous permet de découvrir une autre Russie, plus proche de ses racines rurales et ouvrières, si éloignées des ex-villes soviétiques que nous avons arpentées jusqu’alors. Au milieu des allées de notre wagon, une vieille babouchka au regard plein de sagesse et de curiosité s’approche de nous, ses mains se mouvant dans une gestuelle qu’il nous faut apprivoiser pour comprendre le sens de ses questionnements. Ainsi sont les conversations à bord du train, parfois fluides, parfois indéchiffrables. La chaleur bienveillante de cette aimable petite dame n’était pas aussi manifeste chez ses deux voisins de banquette. Deux hommes d’une cinquantaine d’années, à demi-ivres de vodka, murmurent en russe des mots que nous peinons à saisir. Leurs visages grimaçants évoquent les figures malicieuses des peintures de Jordaens. L’inconfort est palpable. C’est aussi ce genre de situation que peut générer la promiscuité des wagons, bien que cela arrive rarement. Le trajet nous offre un tableau vivant des modes de vie locaux, habitudes culinaires, pratiques sociales, jeux, manières d’occuper le temps à défaut de pouvoir occuper l’espace avec aisance et amplitude.
Chaque virage qui se dévoile sous nos yeux laisse entrevoir un paysage qui paraît parfois infini, interminable. Nous nous laissons bercer par la quiétude du train, la chaleur réconfortante, les bruits étouffés, dans l’attente d’autres horizons. Après quelques heures à cheminer vers le nord-est du pays, la ville de Tobolsk apparaît, comme enchâssée au cœur des vastes plaines de la Sibérie occidentale, une perle rare isolée dans l’immensité territoriale russe. La partie haute de la ville surplombe la plaine sibérienne. Cette étape nous laisse le temps de découvrir le superbe Kremlin de cette ville qui fut la capitale de Sibérie au XVIIe siècle. Témoin d’un lourd passé, l’endroit n’en demeure paradoxalement pas moins charmant.
Carnet de voyage de Vincent Rauel et Eoléonore Levieux à découvrir dans le Numéro 61
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