Traverser les routes de la Soie - Carnet Riyad Bouamran
Carnet de voyage - Afghanistan

Traverser les frontières

Les routes de la Soie, autrefois lentement parcourues par les caravanes de chameaux de Bactriane, ont vu se dresser barrières et no man’s lands prompts à éprouver la patience et la sérénité des voyageurs. Pour Ryad Bouamran, le rêve était trop fort de rejoindre ces terres, protégées par des cols mythiques et jadis foulées par Marco Polo ou Alexandre Le Grand.

– EXTRAIT – 

Muni du précieux visa, je me lançai en direction de la frontière. Sur la route, les premières montagnes firent leur apparition, indiquant le début de la mythique passe de Khyber. Cette frontière naturelle que la géographie avait tracée entre le Pakistan et l’Afghanistan avait été empruntée autrefois par Alexandre le Grand et ses troupes dans leur conquête des Indes. Sur ces mêmes pentes, Nicolas Bouvier mit un terme à son périple, nous laissant en héritage un livre qui nous incitait à poursuivre notre propre voyage pour user du monde à notre tour. lls avaient tous emprunté ce chemin et c’était désormais mon tour. Plus la route s’élevait et plus je prenais conscience de l’ampleur de ce voyage. ll était unique en son genre. Voyager seul dans ces contrées synonymes de danger et d’inquiétude demandait du culot et un brin de folie. Depuis des millénaires, la passe était un endroit périlleux, véritable coupe-gorge, et nul ne pouvait assurer que ce lieu où tant d’hommes avaient été massacrés au gré du flux et du reflux des invasions ne le redeviendrait pas un jour. J’avais saisi une opportunité qui ne se représenterait peut-être jamais.

Arrivé au sommet de la passe, la vue s’ouvrit devant moi, révélant le poste-frontière de Torkham niché au creux de la vallée. En arrière-plan, le plateau afghan inondé de lumière s’étendait à perte de vue. J’étais près du but. Il fallait maintenant redescendre et traverser la frontière. Le chauffeur de taxi prit le soin de me déposer à l’entrée du poste. Les étrangers n’empruntaient que très rarement ce passage frontalier et je me souciais de ne pas attirer l’attention. Après avoir échangé quelques roupies pakistanaises contre des afghanis, je me dirigeai aussitôt et sans plus attendre vers les guichets de contrôle. L’agent récupéra mon passeport et m’invita à aller m’asseoir le temps des vérifications. (…)

Perdu dans mes réflexions, ce ne fut qu’à l’appel de mon nom que je repris conscience. L’agent tamponna mon passeport et d’une voix bienveillante, me fit comprendre qu’il n’y avait aucune possibilité de retour au Pakistan sans un autre visa. Plus qu’une indication, il semblait vouloir m’avertir des dangers qui m’attendaient de l’autre côté tout en me souhaitant bon courage.

Lorsque vint le moment de franchir cette frontière, je me remémorai ma dernière expérience en Chine, bien plus éprouvante. À cette occasion, j’avais dû attendre l’ouverture de la frontière pendant des heures, traverser un no man’s land de cent vingt kilomètres côté chinois, et marcher pendant cinq kilomètres après le poste-frontière kirghize. Cette fois-ci, le passage fut bien plus rapide, mais le ciel avait été remplacé par une toiture verdâtre et les paysages par des murs de béton surmontés de barbelés. La traversée s’effectua le long d’un corridor de moins d’un kilomètre enjambant une rivière asséchée où adultes et enfants semblaient traîner leur peine. Seuls quelques rayons de lumière parvenaient à nous rappeler la vie qui persistait au-delà de cette frontière froide et austère.

Je me retrouvai face à une montagne vertigineuse. Imposante et trônant fièrement, elle semblait avoir été placée à cet endroit précis pour avertir les voyageurs intrépides. Le message était clair. La montagne invitait à entrer dans ce nouveau monde avec humilité

On procéda à la vérification de mon passeport une première fois, et j’entrai alors du côté afghan de la frontière. Poursuivant ma marche en avant, je pris conscience que la sortie n’était plus très loin. J’avais forcément raté une étape. Je fis demi-tour et demandai où se trouvait le contrôle des passeports. On me guida vers une grande salle située un peu plus haut sur ma gauche. À l’intérieur, il n’y avait ni bureau ni queue de voyageurs. Un peu surpris, je m’avançai vers le Talib aux yeux verts assis derrière un guichet qui ressemblait au comptoir d’un café abandonné. Celui-ci récupéra mon passeport, me posa quelques questions et fut ravi aux anges d’apprendre que j’étais musulman. Il tamponna mon passeport et me souhaita bonne route.

Avant de me remettre en marche, je pris le temps de prier dans la petite mosquée improvisée au sein de la même salle. Un voyage physique se faisait avec le corps et un autre était le cheminement du cœur jusqu’au royaume des cieux. L’Afghanistan n’allait pas disparaître et je voulais maintenant prendre le temps. « Je n’étais pas en quête d’une pensée ni d’une philosophie ! J’étais en quête… d’un battement de cœur » disait Satprem. Pour ma part, ce battement de cœur survint lorsqu’en sortant du poste-frontière, je me retrouvai face à une montagne vertigineuse. Imposante et trônant fièrement, elle semblait avoir été placée à cet endroit précis pour avertir les voyageurs intrépides. Le message était clair. La montagne invitait à entrer dans ce nouveau monde avec humilité, et c’est face à elle que je pris conscience que désormais quoi qu’il advienne, je pouvais dire : « J’ai mis les pieds en Afghanistan. » Un rêve venait de se réaliser.

Traverser les routes de la Soie – Carnet de voyage de Riyad Bouamran à découvrir dans Bouts du monde 56

 

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