Carnet de voyage - Espagne

Trois ans de voyage

Joseph a vécu la première année de sa vie sur un joli voilier en bois.  Ce n’était pas le plan du départ. Mais ce n’est pas une naissance qui va contrarier le rêve d’une vie d’Inaniel Swims et de sa compagne Marie : trois ans de voyage en voilier et à vélo des Canaries à la Norvège.

– EXTRAIT – 

Juin 2019. Il fait nuit. Allongé dans la couchette, je sens qu’à côté de moi Marie ne dort pas. Elle est inquiète. Le bateau gîte, il pleut et au sifflement aigu de l’éolienne, je sais qu’il y a maintenant plus de trente nœuds de vent dehors. L’hiver s’obstine. Quelque chose cogne sur bâbord. Marie soupire, se retourne, préoccupée. Elle essaye de me faire passer un message, tire toute la couette vers elle. Message reçu. Je me lève et sors dans la nuit faire un tour du pont. À première vue, tout va bien, nous sommes toujours… amarrés au port de Caen. À la lumière des réverbères, je vérifie que les pare-battages sont en place, j’écarte une drisse qui claque sur le mât, bloque les pales de l’éolienne. Frigorifié, je rentre dans le carré où le silence s’est fait. Marie s’est déjà rendormie. Pour moi c’est foutu ; alors je reprends Le Guide des Glénans et me plonge dans l’étude des systèmes météos.

Il y a trois ans, quand on s’est rencontré, je n’avais jamais mis les pieds sur un bateau. Marie me drague en me parlant des cours de voile qu’elle prend. Je réplique en m’inventant une expérience plus ou moins fictive de véliplanchiste

Il y a trois ans, quand on s’est rencontré, je n’avais jamais mis les pieds sur un bateau. Marie me drague en me parlant des cours de voile qu’elle prend. Je réplique en m’inventant une expérience plus ou moins fictive de véliplanchiste. Un an plus tard, on s’achète un petit voilier. Pour débuter. Au pire ça nous fera une maison de vacances à la mer. On le rafistole, ontire nos premiers bords, on se tape nos premiers stress. Quand on le revend, c’est pour passer à plus grand, pour partir plus loin et plus longtemps.

On fait le tour de Normandie, de Bretagne et dinternet pour trouver notre futur voilier. « Vends bateau cause dorsalgie » disent les annonces passées par des papis usés qui nous racontent leurs aventures et leurs tempêtes. Un voilier sort du lot, P’tit Su, un Aubois plan Provin en bois moulé, dans nos prix, bien équipé et très beau. Mais on ne veut pas d’une coque en bois. Trop d’entretien. On finit quand même par aller le visiter à Brest. Les propriétaires nous laissent les clés pour le week-end et nous conseillent un bar à tapas sur le quai. Malins. Quelques bières plus tard, on décide de l’acheter et un voyage se dessine : la Suède et la Norvège l’été, avant de migrer vers le sud pour hiverner à Alcoutim à la frontière entre l’Espagne et le Portugal. Puis ce sera la Méditerranée : Baléares, Maroc, Algérie, Italie puis la Grèce. Plan A.

Quatre mois plus tard, Marie est enceinte de quatre mois, on vient de rendre les clés de notre location et emménageons sur P’tit Su dans le port de Caen. On partira à trois. Plan B.

Marie est enceinte de sept mois. On part pour la côte sud anglaise. Portsmouth, l’île de Wight, Beaulieu River, cottages chics, brume et chants d’oiseaux. Gênée pour marcher par son gros ventre, Marie a emporté un vieux vélo pliant. C’est le déclic. Conquis par la complémentarité vélo / voile, nous décidons d’investir dans deux Brompton, la Rolls Royce des vélos pliants, et dans une charrette pour le bébé à venir.

Février 2020. Il fait nuit, un cri de bébé me réveille en sursaut. C’est Joseph qui nous appelle depuis la pointe avant du bateau. Il a six mois et ne veut plus dormir. Dommage. Il est trop tôt pour aller se promener en poussette dans la zone industrielle où nous nous sommes amarrés pour terminer le chantier du voilier. Pour l’endormir, on se balade dans ce quartier glauque parmi les camions des prostituées qui travaillent là. Certaines nous reconnaissent et m’interpellent pour voir mon bébé. On discute, elles rigolent et me disent qu’il est beau. Il est beau mais je préférerais qu’il dorme.

Le départ est fixé pour avril. En mars, avec le Covid et le confinement, les ports ferment. Il fait beau, on sort la piscine gonflable sur le pont. Voyage immobile. On ne sait pas si on pourra partir, on ne sait pas pour où. Stress. À la fin du confinement, nous partons précipitamment. Trop tard pour le nord, et les frontières des pays scandinaves sont fermées, alors on part pour le sud. Plan C.
Carnet de voyage d’Inaniel à découvrir dans le Numéro 62

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