Un an de vacances transatlantiques
– EXTRAIT –
« Voilà un passeport pour aller voir ailleurs ». Les mots sont écrits à la main dans une carte glissée à l’intérieur d’un livre que Yann Letestu a reçu de son père. Ce n’est pas n’importe quel livre : La Longue Route, de Bernard Moitessier. Les jalons posés pendant l’enfance ne sont jamais innocents et le livre est précieusement conservé. En 1985, alors qu’il est âgé d’une dizaine d’années, il s’embarque avec sa famille pour une traversée de l’Atlantique. Le voyage doit durer un an et les mener jusqu’au Brésil. Une idée qui trottait dans la tête de parents navigateurs amoureux des récits de voyage aventureux. C’est souvent comme ça que tout commence.
Le Zante, un ketsch blanc de douze mètres de long, lève l’ancre depuis les calanques de Marseille. Le bateau comporte une barre à roue, deux cabines, une à l’arrière pour les parents, l’autre à l’avant pour Yann et son frère Guillaume. « C’était un voyage rare à l’époque. Nous naviguions au sextant, avec une VHF qui fonctionnait une fois sur deux », décrit Yann.
« Pendant la nuit tout devient irréel et mystérieux, il faut s’y habituer. Vers 4 h du matin, nous retrouvons Orion située dans notre axe, confirmant chaque jour que notre trajectoire est la bonne. Nous sommes perdus au milieu de l’immensité de l’océan avec la pensée qu’au-dessous de nous il y a un abîme de 6 500 mètres de profondeur peuplé de créatures mystérieuses »
Après une escale qui s’étire au Cap-Vert, il est l’heure de mettre les voiles pour le large. Le grand départ est une notion qui dépasse un peu le jeune garçon, lui qui était habitué à naviguer en Méditerranée avec ses parents. « On était conscient que l’on partait, mais je n’avais pas la notion du temps ». Il se souvient des derniers préparatifs : le plein d’eau et de gasoil, et surtout de lait concentré sucré. « Chacun de nous constituait des réserves de sa nourriture préférée, comme si c’était un besoin impérieux » raconte-t-il.
En guise d’école, c’est la révision générale du chapitre astronomie, nécessaire pour régler le sextant qui se dérègle au gré des variations de température. C’est l’heure du pot de départ sur les autres bateaux, où se devine « un peu d’anxiété cachée au fond du cœur des équipages ». La première nuit est difficile et les quarts sont établis de la façon suivante : « Mon frère de 21 h à 00 h 30, ma mère de 00 h 30 à 04 h 30, mon père de 4 h 30 à 9 heures. Mon jeune âge m’exclut de toute responsabilité ».
Le papa a consigné dans un carnet ce qu’il écrivait sur les lettres envoyées à la famille et aux amis. « L’absence de vent fait claquer les voiles dans les creux. Le bateau grince de toute part au point que nous avons l’impression qu’il se disloque dans un bruit infernal. Nous avons de la chance, la lune se lève à la tombée de la nuit, vers 19 heures et se couche à 4 heures. Le temps est limpide, on y voit très bien, ce qui permet d’éteindre le feu du mât et d’économiser l’énergie des batteries qui est un souci permanent. Une heure et demie de moteur chaque jour est indispensable à leur recharge, malgré les lampes à pétrole et les pompes à eau manuelles ».
Pendant ce temps-là, l’esprit du petit Yann vagabonde. « Pendant la nuit tout devient irréel et mystérieux, il faut s’y habituer. Vers 4 h du matin, nous retrouvons Orion située dans notre axe, confirmant chaque jour que notre trajectoire est la bonne. Nous sommes perdus au milieu de l’immensité de l’océan avec la pensée qu’au-dessous de nous il y a un abîme de 6 500 mètres de profondeur peuplé de créatures mystérieuses »
L’histoire de Yann Letestu à découvrir dans Bouts du monde 52
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde