Un jour sans fin dans l’archipel de Svalbard
– EXTRAIT –
Heure 0
Cette journée à Longyearbyen commence quelques instants avant l’atterrissage. Le survol du Spitzberg, la plus grande île du Svalbard, est impressionnant. Par les hublots, on se fait vite une idée de la dureté de cette île désertique. On devine, sous les glaciers, des enfilades gelées de vallées dont les crêtes noires déchirent la peau blanche de cette terre arctique avec leurs lames aiguisées. Dans cette région, il fait rarement plus de 10 °C durant l’été et souvent moins de -20 °C pendant l’hiver. À proximité des côtes, les nappes de glace s’achèvent sur de vastes plaines d’épandage striées par les eaux de fonte et apportent aux fjords une eau boueuse qui ne se mêle pas au bleu de l’océan.
Le pilote amorce sa descente. Il plonge dans la vallée de l’Adventfjorden, dévoilant la ville de Longyearbyen. Pour la première fois de ce voyage, tout me paraît immense. De loin, au milieu de ce décor pâle de roche et de glace, l’avion ne doit être qu’un point minuscule. A l’ouest de la ville, le petit aéroport apparaît. La carlingue tremble sous les bourrasques. La piste s’approche. Choc. Bienvenue au bout du monde.
Heure 1
Le Svalbard est cet archipel dentelé par les fjords au nord-est du Groenland, entre 74 et 81° nord. Il fait partie de ces terres boréales, déformées par les projections des mappemondes, pour lesquelles je ne pouvais imaginer comme paysages que des étendues de glace ou de toundra à perte de vue. Bien que sa superficie soit deux fois plus importante que celle de la Belgique, seulement 2 700 personnes vivent ici, dont les deux tiers à Longyearbyen, la ville la plus au nord du monde. Le Sud à Ushuaïa et Puerto Williams. Le Nord à Barentsburg et Longyearbyen. Au-delà, il n’y a que le village scientifique de Ny-Ålesund, également au Svalbard, et quelques stations militaires ou météo disséminées autour de l’océan Arctique. Il est difficile de décrire l’aspect de ce territoire recouvert aux neuf dixièmes de glaciers et de roches sans le qualifier de primitif tant sa beauté, au premier abord, est faite de rudesse, de sécheresse et d’austérité. La végétation y est rare et rase, donnant aux reliefs une nudité qui les rend partout gigantesques. Les paysages du Svalbard pourraient être ceux du début des temps.
Heure 5
Tout ici existe dans sa version « la-plus-au-nord-du-monde » : église publique la plus au nord, école la plus au nord, université la plus au nord, supermarché, brasserie, piscine, boulangerie, pharmacie, bibliothèque, pizzeria… Même le distributeur de billets se vante d’être le « World’s Northermost ATM ».
Heure 11
Le voilà enfin qui arrive. Ou plutôt : le voilà enfin qui est encore là. Il est minuit pile et, en ville, je contemple la lumière dorée que projette le soleil, encore haut au-dessus de l’horizon, sur les montagnes. Le soleil de minuit me faisait rêver. Son seul nom fait ressurgir en moi des lectures de carnets d’explorateurs et des visions fantasmées des expéditions d’Amundsen, Nobile, Nansen, Charcot, Scott, Peary, Shackleton et de tous ces noms des âges héroïques de l’exploration polaire pour qui le Svalbard était souvent la dernière étape avant le pôle Nord. Comme la Croix du Sud ou la Terre de Feu, le soleil de minuit est une promesse d’aventures. Et aujourd’hui, c’est sur ma tête qu’il brille. Il n’est pas au zénith, mais comme prisonnier d’une fin de journée qui ne laissera jamais place au crépuscule. Sa lumière est d’un doré éblouissant. Sous le soleil de minuit, le monde entier devient jaune. Hagard, je passe une partie de cette nuit qui n’en est pas une à déambuler dans la ville pour m’imprégner au plus de l’ivresse de cet éclat inconnu.
Carnet de voyage de Noé Rigaud à découvrir dans Numéro 34
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