Un petit tour dans le Mercantour
– EXTRAIT –
Ni bruit, ni mouvement, ni froissement des mélèzes ; seuls le silence et cette odeur d’écorce humide qui monte aux narines. Assis sur une colline, un brin éreinté, j’ai les pieds nus ballant dans le vide, mon regard se perd, s’échoue sur un parterre d’herbes hautes, remonte le long des ombres et des cimes piémontaises qui courbent l’horizon, jusqu’à se fixer un très court instant sur le haut de la toile de notre tente, fondue dans l’obscurité : à l’intérieur, Laure s’est endormie. Il n’est pas tard, tout juste 9 heures, et la nuit s’installe sur la vallée de Casterino. J’enfile un pull et décide de rester ici encore un peu, immobile, figé comme les gros blocs de granit qui m’entourent. Sous le ciel uni et sans nuages, quelques pensées affleurent : ce soir est un soir comme les autres ; pourtant, je n’aurais pas souhaité meilleur point d’orgue à pareille journée de marche. Reste la vallée des merveilles à franchir demain, puis c’en sera fini du Mercantour.
Saint-Martin-Vésubie, une semaine plus tôt
Jour de marché. Les soccas crépitent, les étals regorgent de fruits frais, de tomates bien rouges et des gamins s’amusent à enjamber une rigole d’eau frisquette. On glane deux ou trois babioles qu’on tasse dans nos sacs déjà bien remplis, flâne un moment dans les ruelles colorées et pittoresques de Saint-Martin-Vésubie. À l’office de tourisme, vieille bâtisse en bois – incontournable aux dires de notre hôte -, une carte tout en reliefs accroche mon regard : d’Entraunes à Menton, traversé par le GR52, le Mercantour s’étire sur toute une langue de terre avant de plonger 150 kilomètres plus au sud, dans la Méditerranée. Aux basses altitudes, on imagine des forêts de mélèzes et d’épicéas. Dans les hauteurs, c’est une autre histoire : versants décharnés, quelques cirques glaciaires et de larges cimetières de pierres tout en désordre. Il me tarde de marcher, je n’ai d’ailleurs plus que ça en tête.
Autour du village, les stigmates du passage de la tempête Alex foisonnent : carcasses de voitures jalonnant les routes, tas de tôles rouillées, roulis de cailloux gigantesques tapissant le lit d’une rivière asséchée. Deux années plus tôt, en l’espace d’une courte nuit, gonflées par des pluies diluviennes, les eaux du Boréon avaient rasé les bâtisses. « Voilà, c’est tout ce qui reste d’une station-service », nous lance un villageois, pointant du doigt un espace niché en contrebas où s’entassent deux ou trois vieilles armatures de béton. « Les proprios ont eu de la chance, filé quelques minutes avant que les eaux n’arrivent ». Plus haut, on apprend que trois loups du parc Alpha avaient péri sous les flots.
Carnet de voyage de Mathieu Gay à découvrir dans Bouts du monde 55
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