
Un train vers l’Abyssinie
– EXTRAIT –
Dans le train, la tension monte d’un cran car le passage à la douane éthiopienne n’est plus qu’une question de minutes. On transfère des marchandises d’un sac à l’autre et l’on s’assure de les dissimuler au mieux. Moi-même, je n’en mène pas large car la perspective de me faire piquer mon argent me hante l’esprit. Douane éthiopienne, à nouveau le train s’arrête. Un policier en civil collecte les passeports et les documents administratifs puis, les passagers sont sommés de descendre du train avec paquets et bagages. Des flics armés de bâtons arpentent les wagons pour une fouille systématique. Les paquets oubliés seront confisqués et acheminés par des porteurs en blouse rose vers les bureaux nouvellement construits. Sur le quai, les voyageurs accroupis ou assis sur leurs ballots attendent résignés tandis que la fouille démarre de la queue du train. D’un geste du bâton, les policiers commandent d’ouvrir tel ou tel sac pour en extraire une bouteille de sirop, un bidon d’huile de friture, une boîte de lait en poudre… Tout ceci n’a aucun sens pour moi et je suis incapable de comprendre les manœuvres des passagers pour éviter le racket des douaniers. Pourtant, un fil invisible à mes yeux semble unir tous les acteurs de cette scène. Peu de mots sont échangés, tout semble se passer dans les regards. Quant à moi, un officier anglophone me demande d’ouvrir mes sacs. De ma trousse à pharmacie, il sort quelques cachets qu’il regarde attentivement, en fronçant les sourcils. Mais ce ne sont que des cachets « for purifing water » ! Pas une seule question sur la quantité d’argent dont je dispose ne me sera posée.
L’ambiance s’est détendue et les marchandises perdues déjà oubliées. À une halte en plein désert, un groupe de trois hommes prennent place dans le wagon. Secs comme des bouts de bois, farouches, fiers, silencieux, un bâton auquel est attaché une gourde coincée entre les jambes, ils fixent le paysage d’un regard absent.
Au bout de deux heures de ce manège les passagers regagnent les wagons. Abdu qui s’est fait piquer un bidon d’huile a tenté une ultime mais vaine négociation et c’est en courant qu’il rattrape le train déjà lancé sur les rails. Je remplis maladroitement de croquis quelques pages de carnet, incommodé par les soubresauts du train. La fatigue commence à se faire sentir, j’ai fait une nuit blanche et je n’ai rien dans l’estomac depuis la veille. Une jeune Éthiopienne, vague cousine d’Abdu, me propose de partager une galette d’ingéra. L’ambiance s’est détendue et les marchandises perdues déjà oubliées. À une halte en plein désert, un groupe de trois hommes prennent place dans le wagon. Secs comme des bouts de bois, farouches, fiers, silencieux, un bâton auquel est attaché une gourde coincée entre les jambes, ils fixent le paysage d’un regard absent.
Depuis bientôt une heure, le train traverse une immense plaine couverte d’herbe grise et ponctuée d’innombrables termitières. Aperçu un groupe de gazelles de grande taille aux cornes assez développées. L’horizon de cette plaine rectiligne semble bordé d’arbres immenses mais ce n’est que le reflet des termitières dans la vapeur suffocante de la chaleur. Enfin un paysage plus accidenté et couvert d’arbres et de buissons, parcouru de larges oueds, annonce l’arrivée au pied des montagnes du Chercher.
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde