Une halte dans l’Atacama
– EXTRAIT –
Le désert d’Atacama. Son nom ne cessait de résonner dans nos têtes depuis plusieurs semaines. Il nous attirait comme un aimant. Mais San Pedro nous avait déçus. L’âme de ce petit village situé en plein coeur de merveilles minérales à couper le souffle avait été saccagée par le tourisme, asphyxiée par la cupidité des tour-opérateurs et des propriétaires terriens. Ses habitants avaient été dépossédés de leurs maisons en même temps que de leurs terres sacrées. Ils avaient été relégués en marge du village. Ceux qui avaient de l’argent s’y permettaient tout, pendant que les mochileros sans le sou passaient leurs journées dans la torpeur des rues poussiéreuses séchées par un soleil brûlant et leurs nuits à faire la fête en se droguant de cactus locaux. Un beau gâchis.
De retour à Calama, il fallait se remettre en selle. Quitter cette cité minière poussiéreuse, repaire des magnats du cuivre du monde entier, déprimante pustule de béton échouée dans le vide. Hormis les trains de marchandises remplis de minerais précieux que nous pouvions observer au dépôt depuis la rue, cela n’avait pour nous aucun intérêt. Il nous fallait un nouvel objectif, et il s’est dessiné en observant la carte. Le réseau routier ne nous offrait pas trente-six possibilités. Alors nous avons décidé de suivre les rails des trains miniers pour atteindre la Bolivie par la route du désert. En stop. Pas une des personnes à qui nous avons fait part de cette idée ne nous encourageait à la suivre. Les ouvriers de notre hôtel, chauffeurs routiers, tous étaient du même avis : « Esta ruta es une mierda, no hay tràfico, weones. No hay nada. »
Évidemment, aucun ne comprenait notre volonté de nous éloigner des axes touristiques et par là-même de nous compliquer la vie. Loin d’être des têtes brûlées, nous nous renseignions peu à peu. Outre le fait que la route n’est pas totalement bitumée, elle traverse l’une des régions où il pleut le moins au monde, pour s’enfoncer à travers des hauts plateaux désertiques à plus de trois mille mètres d’altitude jusqu’à la ville d’Uyuni en Bolivie et son célèbre salar. Entre les deux, à peine deux ou trois campements miniers isolés, une gare de trains de marchandises. Près de cinq cents kilomètres à travers des no man’s lands. Une véritable aventure. À partir de là, rien ne pouvait nous faire décrocher de cette idée. Nous avons rejoint une banlieue miteuse à la sortie de Calama. Les sacs à dos sont posés à même le sable sur le bord de la route. Il n’y a autour de nous que des échoppes vendant des pneus, des garagistes ou des dépanneurs spécialisés poids lourds. Fin de matinée, écrasés par un soleil de plomb, déjà on mord la poussière, qui, soulevée à grandes volées par les camions et 4×4 déboulant à toute vitesse, vient nous gifler la figure avec mépris. À chaque véhicule qui passe, notre pouce se dresse imperturbablement dans la direction du désert. Mais ils ne sont pas très nombreux. Après une demi-heure, une voiture nous arrache de la ville. Elle nous laisse quelques kilomètres plus loin. Il y a encore des maisons mais nous sommes à présent sur une piste. Pas une âme dehors par cette chaleur. Nous attendons. Confiants. Un camion passe. Pas une mouche ne vole. Comme on pouvait s’y attendre, la circulation est inexistante. L’ombre est réduite à peau de chagrin. On garde le moral, tout est encore possible. Notre jeune expérience d’auto-stoppeurs nous l’a déjà enseigné. Une demi-heure de plus. Un nouveau 4×4 s’arrête à notre hauteur. Au volant, c’est un ingénieur des mines qui doit se rendre à mi-chemin de la frontière. C’est risqué. Tronquer le voyage alors qu’il y a aussi peu de passage, c’est s’exposer à de réels problèmes. Mais au fond de nous, l’appel de l’inconnu est le plus fort. Nous tentons notre chance et montons à bord. Quitte à se lancer, au moins là, on ne pourra plus rebrousser chemin.
Carnet de voyage de Charline Wild et Julien Gauste à découvrir dans Numéro 39
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