Vestiges polaires
EXTRAIT :
Dans le Grand Nord ou aux confins des terres australes, je me suis souvent retrouvée face à des vestiges anormalement anciens et merveilleusement conservés. Dans ces régions où le froid et l’absence d’érosion anthropique préservent plus longtemps qu’ailleurs les souvenirs du passé, où le temps cristallise les mots dans la glace, il n’est pas rare de se retrouver face à l’Histoire qui surgit au détour d’un chemin sous forme d’une ruine inattendue ou d’un os de baleine millénaire piqué de mousse. Les terres polaires représentent un terrain de jeu rêvé pour tout archéologue.
Ces vestiges sont d’une beauté époustouflante. Comme si la nature, tel un peintre, avait su ajouter juste ce qu’il fallait de touches de rouille ou de moisissure, ôter juste assez de pierres, de peinture ou de plumes, pour que ce qui était trop neuf, trop franc, orgueilleusement vivant, lui revienne, une fois dépouillé de son souffle, de l’utile. La chose, peau sans entrailles, se pare alors de couleurs douces, d’un camouflage qui se fond dans le paysage, pour à son tour le devenir.
L’Histoire humaine a laissé des traces jusqu’aux confins des immensités polaires. Des humains de passage, explorant, se perdant. Des humains en mission, en quête, en errance
Souvent, touchés, les humains décident de laisser en place l’installation. Afin de respecter ce musée en plein air mis en scène par la nature. N’est-ce d’ailleurs pas à cela que l’on reconnaît la beauté : à son intemporalité ? La Nature n’est pas de nature à se tromper. J’ai toujours été profondément émue en visitant des villes fantômes, des villages abandonnés, des stations baleinières délaissées, des épaves rouillées, en découvrant les squelettes d’animaux, ou d’hommes, disparus il y a bien longtemps. Ces lieux, ces choses, ont quelque chose en eux qui vit encore. Une beauté particulière que l’on ne peut s’empêcher de saisir dans son appareil photo : d’immortaliser une seconde fois. Apprécier et comprendre ces lieux et ces objets nous aidera-t-il à mieux préserver ce qui méritera de l’être lorsque nous n’existerons plus ? Que sera notre paysage aux yeux des générations futures qui le visiteront ? L’Histoire humaine a laissé des traces jusqu’aux confins des immensités polaires. Des humains de passage, explorant, se perdant. Des humains en mission, en quête, en errance. Des humains s’installant, faisant du commerce, chassant, exploitant les ressources naturelles à mesure que les développements techniques le permirent. Des humains qui immigrèrent et trouvèrent des lieux refuges pour implanter leurs villages, créant de nouvelles populations adaptées aux environnements extrêmes, s’y attachant du plus profond de leurs âmes. De multiples épisodes se déroulèrent ainsi au sein des contrées australes et boréales. Aujourd’hui, on découvre leur histoire au fil des sentiers, se promenant comme tournant les pages d’un livre immense.
Carnet de voyage de Daphné Buiron à lire dans Numéro 47
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