La genèse des lignes
-EXTRAIT-
Un bus m’a déposée dans le village désert de Rindal. Autour de l’abri bus, des forêts silencieuses, des champs en friche et un début de relief montagneux. Je cherche à trouver la piste qui me fera pénétrer dans le bon vallon pour grimper vers les hauteurs du massif du Trollheimen. Il me faut trois heures pour sortir de la forêt de bouleaux et de pins et accéder aux premières zones d’altitude. Je ne suis qu’à 1 000 mètres et je découvre, inquiète, que la neige envahit la majeure partie du paysage au-dessus de moi. Au soir, je plante ma tente entre deux névés en surplomb d’un lac, me plonge dans un ruisseau, et ai à peine le temps d’avaler ma soupe que la pluie et le vent s’abattent sur le campement. Ce lieu est désolé, et je suis une pauvre petite chose, moi qui dix minutes plus tôt faisait des projets en grand pour les jours à venir. Que croyais-je en m’imaginant cette aventure ? Suis-je à ce point naïve pour penser marcher en Norvège durant plus d’un mois sous un soleil radieux ? Je la connais pourtant, cette terre capricieuse et si peu accueillante. Je me remémore les récits de voyage que j’ai étudiés durant mes recherches : ces hommes et quelques femmes venus se frotter à l’Alpe scandinave à la fin du XVIIIe siècle, attirés et repoussés en même temps par une nature inconnue et hostile. « Là tout est solitaire, tout est lugubre, tout est stérile ; nulle forêt sur la cime de ces monts ; nulle verdure sur les grisâtres aspérités de ces rocs ; nul oiseau terrestre dont le vol brise la monotonie des airs. », avait écrit le français Acerbi durant un voyage vers le nord du pays. Il faudra du temps au corps et à l’esprit : l’aventure ne fait que commencer. Elle sera longue et féconde.
Aucune trace de vie humaine, mais sporadiquement des empreintes et des déjections de renard ou de lagopède. Elles m’invitent à imaginer la vie cachée de ces montagnes qui se réveillent à peine de l’hiver.
Je comprends au premier col que l’hiver a été très enneigé et que je vais patauger de longs jours dans le blanc de la neige avant de toucher terre. Pour l’instant, ça porte très bien et nul besoin de crampons. Je parle tout haut en norvégien pour amadouer ce premier massif à franchir. Je parle encore et encore, et les mots traversent avec moi les étendues blanches et les cols ventés. En dehors de ces mots qui tournent en boucle, il n’y rien d’autre que le silence opaque des vallons déserts et le bruit menaçant de l’écoulement des eaux sous la glace. Aucune trace de vie humaine, mais sporadiquement des empreintes et des déjections de renard ou de lagopède. Elles m’invitent à imaginer la vie cachée de ces montagnes qui se réveillent à peine de l’hiver.
Voyager en Norvège avec le carnet de Mariette Nodet à découvrir dans Bouts du monde 58
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