Walking dead au Karakalpakstan
– EXTRAIT –
Quatre heures d’un trajet interminable à travers les paysages désolés du Karapakalstan. C’est le prix à payer à partir de Nukus pour rejoindre le terminus de Moynaq, au Far West de l’Ouzbékistan. À Nukus, un hadj est monté au départ du bus pour faire une prière pour les passagers. Ne prenez jamais le bus en Ouzbékistan sans vérifier que « Mac Gyver » est bien du voyage. Généralement assis à la droite du chauffeur, l’homme est capable de faire redémarrer le bus dans n’importe quelle condition !
À l’aller, « Mac Gyver » nous a changé une durite de refroidissement explosée avec un bout de tube, deux coups de tournevis et un peu d’eau de l’Amou Daria. Sur le retour, nous perdrons une roue. Et dans deux jours, nous casserons un amortisseur entre Khiva et Boukhara au milieu du désert du Kyzylkoum.
Au menu ce soir, des patates bouillies dans de l’eau anormalement salée du robinet, et du lait caillé « très bon pour se prémunir des produits toxiques »
Dès la descente du bus, le ton est donné. Anciennement le port ouzbek le plus important de la mer d’Aral, Myunak n’est plus aujourd’hui qu’un village fantôme. Je rejoins au loin un groupe d’enfants qui scrutent l’horizon du haut d’une falaise. Face à eux, un vaste cimetière duquel dépassent des cadavres d’animaux empoisonnés et des carcasses de chalutiers rongées par le sel. Cette étendue de sable à perte de vue est tout ce qu’il reste de la mer d’Aral depuis qu’elle a reculé de plus de 50 à 120 km par endroit. Une mer autrefois grande comme le Portugal, et qui n’est plus aujourd’hui qu’un lac salé qui se dessèche au milieu d’un désert. Une mer que ces enfants n’ont jamais vue, et qui leur est racontée le soir au coin du poêle par leurs parents.
Je ne sais pas où dormir. Une jeune fille sort de sa mélancolie pour m’indiquer l’hôtel Oybek, le seul hôtel de la ville encore en activité. Il n’y a pas de travail à Moynaq, hormis pour le patron de l’hôtel, le tenancier d’une gargote à vodka, et le patron du seul magasin du village aux rayons vides hormis des gâteaux secs, du pain, et du soda chimique orange fluo ! Il n’y a pas non plus de restaurant à Moynaq. En revanche il est possible de manger à l’hôtel Oybek dans un décor kitsch des années 1970. Au menu ce soir, des patates bouillies dans de l’eau anormalement salée du robinet, et du lait caillé « très bon pour se prémunir des produits toxiques ».
L’économie de Moynaq est totalement sinistrée, pour ainsi dire revenue à l’état de troc. Les habitants du village survivent grâce aux subventions fournies par l’Etat qui ne veut pas, pour des raisons géostratégiques face au Kazakhstan, que le village soit déserté. Les maisons, la plupart abandonnées, sont en ruines. Par endroit, elles ont carrément disparu ! Elles sont rachetées une bouchée de pain par les paysans de Nukus qui les démontent pierre par pierre pour les remonter à deux cents kilomètres de là.
L’hôtel Oybek, au bout d’un terrain vague, n’a pas l’eau courante, et les coupures d’électricité y sont fréquentes. L’hôtel est pourtant rarement vide, car il accueille les journalistes et spécialistes du monde entier venant régulièrement constater et mesurer la catastrophe de la mer d’Aral. Les habitants de Moynaq, sarcastiques, ont coutume de dire que « si tous les journalistes et spécialistes étaient venus avec un seau d’eau, la mer serait toujours là ! ».
Walking dead au Karakalpakstan – Carnet de voyage d’Yves Maillière à découvrir dans Bouts du monde 56
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