Écouter les Pixies pendant que tout un peuple pleure la mort de son tyran : voilà ce qu’a fait Quentin Pirmil, qui travaillait pour une ONG à Pyongyang quand le Cher Leader Kim Jong Il a passé l’arme à gauche. Éprouvant et surréaliste.
Pyongyang, 19 décembre 2011. 11h23.
As we enter – Nas&Damian Marley
« Bon, OK c’est enregistré. Je t’envoie notre proposition dans trois jours. Ah, au fait, tu sais que votre Président est mort ?
– Sarkozy ?
– Mais non, Kim Jong Il, ils viennent de l’annoncer à la radio chinoise ».
– … »
Je raccrochais tout doucement le téléphone et regardais autour de moi. Les collègues coréens continuaient à vaquer à leurs occupations, c’est-à-dire qu’ils hurlaient dans le téléphone Yobosho !? (allô, ndlr), qu’ils imprimaient des feuilles et des feuilles et qu’ils buvaient du thé en produisant un son peu ragoutant. Tout était calme. Je savourais ce moment de flottement où j’avais l’impression d’être le dernier homme sur terre. Quelques minutes plus tard, qui sait ce qui se produira ? Guerre nucléaire, coup d’État, évacuation ? Je suis sorti de l’open space, salon d’appartement transformé pour accueillir nos bureaux, et les yobosho ! pour aller voir le boss. À son habitude, l’écran bleu illuminait son visage. Il ne m’a pas entendu arriver. Il me jeta un coup d’œil. Mon air devait être suffisamment explicite :
« Il faut fumer ! »
Un autre signe furtif à notre troisième collègue et voilà tous les étrangers de notre boîte rassemblés dans une petite pièce sans Coréen.
« Daniel vient de me le dire par téléphone. Comme ça. Il est mort votre Président !
– Non ? Quand ? Où ? Comment ?
– Une bête crise cardiaque, bam, comme ça !
– Eux, ils savent pas encore ?!
– Ah ! l’alerte google ! Ils l’ont pas ça.
– Qu’est-ce qu’on fait, dans ces cas-là ? demandais-je, peu coutumier des situations extrêmes propres aux pays, disons, hors normes.
– Dans ces cas-là, on ferme sa gueule », dit Youri.
Au même instant, les Coréens ont jailli comme un seul homme dans la salle télé où nous nous trouvions. Ils l’ont allumée. Nous sommes partis.
Des cris, des pleurs nous sont parvenus de derrière la porte. Nous ne savions pas trop quoi faire de nos corps. J’ai fait ce que tout être humain moyen fait quand il sent que ça va tourner vinaigre. Je suis parti en quête de nourriture. Le Pyongyang shop est une institution pour les expatriés de Pyongyang. C’est une sorte de tour de Babel en miniature : des ouvriers allemands viennent y refaire le plein de Bavaria et de saucisses fumées, des femmes voilées syriennes viennent y acheter je ne sais quoi, n’osant pas plus contempler le contenu de leur caddy que leurs yeux. Les innombrables célibataires du compound s’approvisionnent ici en bière locale, la Taedongang Mekchou, faite de riz et d’orge. C’est un des uniques magasins où l’on puisse acheter du riz (!), des pâtes, du fromage, du beurre… J’enfournai dans mon caddy des kilos de pâtes, de l’huile et des grosses bonbonnes d’eau, « au cas où ». Un instant de honte m’envahit au passage en caisse. Moi qui aie toujours fulminé contre ceux qui viennent faire le plein de sucre et d’essence dès que TF1 annonce une pénurie…
Les caissières du magasin, pas encore informées, devaient se demander ce qui se tramait devant les allers venus des expatriés. J’étais sur le parking du magasin avec des bidons de flotte et deux amis, en pleine expectative. Je souhaitais écrire en France à Sarah et mes parents, pour donner des nouvelles rassurantes, mais il n’était que treize heures, soit cinq heures du matin en France. J’avais donc un peu de temps devant moi.
« C’est super risqué, quand même. On baisse la musique alors… »
Sabotage – Beastie boys.
« Dites, avant que tout ça ne devienne vraiment glauque, on n’irait pas tenter une virée en ville, en profitant de l’effet de surprise. On pourra toujours dire qu’on ne savait pas ? Vous avez un appareil photo ? »
Et hop ! Aussi discrètement que possible pour un 4×4 de trois mètres cinquante de haut avec deux pneus de rechange sur le toit, nous nous sommes faufilés en ville, comme des collégiens qui sèchent pour aller fumer.
Devant la première fresque, les groupes arrivaient avec les mêmes bouquets de fleurs en papier, tous en rangs serrés, classés par taille. Des files impeccables, pas un bruit, très dignes ; spontanées quoi ! Arrivés devant le rond-point de la rivière, au bout de la rue, j’ai pris à gauche, passant devant la tour du Juché ; rien. Pas plus que sur la place Kim Il Sung. Devant la maison du peuple, en revanche, des milliers de personnes avec des fleurs, des portraits géants de Kim Jong Il, de gigantesques gerbes de fleurs.
« Fais demi-tour ! C’est là que ça se passe ! On va prendre une photo.
– T’es sûr ? C’est super risqué, quand même. On baisse la musique alors…
– Oui, c’est plus judicieux de ne pas écouter du rap US à fond dans ces circonstances. Même si c’est du East Coast… »
En repassant devant les grands portraits au ralenti, Nicolas se préparait, mon cœur battait, et j’étais déjà certain de voir notre photo publiée dans les journaux du monde entier.
« Fais gaffe, Nico, une fliquette !! »
Nicolas appuya tout de même sur le déclencheur, tout en se baissant si brusquement qu’il se fit mal. Le mouvement attira les yeux de l’agente de circulation, qui ne nous vit pas, enfin je crois.
« Bon on trace, maintenant. Alors, la photo ?
– Merde, on voit rien !
– … »
Venant d’un homme qui écrit un roman toutes les semaines, ses idées ne peuvent être que bonnes… C’est ainsi que la piscine Kim Il Sung, ouverte aux étrangers le samedi, s’est dotée… d’un ascenseur.
« Il faut un ascenseur pour monter sur ce plongeoir ».
Qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu – NTM
J’avais au fond du ventre une pointe d’excitation devant l’événement, mêlé d’une petite appréhension devant le gouffre d’inconnu qui s’étendait devant moi. C’est que je commençais à peine à m’y habituer, à Kim Jong Il, à son anorak gris et sa chapka en lapin et ses « on the sport guidances ». Inventées par ce dernier, elles consistaient à aller « sur le terrain », c’est-à-dire dans une usine de chaussette ou une nouvelle boucherie, et de distribuer comme ça quelques conseils, au débotté, que les directeurs desdits magasins s’empressent de noter dans un petit carnet avec forces hochements du chef.
Venant d’un homme qui écrit un roman toutes les semaines, ses idées ne peuvent être que bonnes… C’est ainsi que la piscine Kim Il Sung, ouverte aux étrangers le samedi, s’est dotée… d’un ascenseur. Le Grand Leader a visité la piscine. L’itinéraire exact de ses pas est d’ailleurs représenté sur un grand panneau dans le hall d’entrée. Il fit une pause devant le plongeoir de dix mètres et leva les yeux.
« C’est très haut ! Vous vous rendez compte comme c’est long pour nos athlètes de monter jusqu’à là-haut, tout ça pour un plongeon de même pas une seconde ?
– Pas faux ça !
– Il faut un ascenseur, pour monter sur ce plongeoir.
– Mais oui, évidemment, c’est ça, un ascenseur. Personne n’y avait pensé avant vous, Grand Leader.
– Pourquoi crois-tu que je sois le Grand Leader et que le jour où je suis né, il y a eu deux arcs-en-ciel sur le Mont Paektu et que des centaines de colombes aient formé dans le ciel les lettres il vient nous montrer la voie ? »
La réponse étant contenue dans la question, quelques semaines plus tard était construit un ascenseur, que je n’ai personnellement jamais vu fonctionner, mais, comme vous le découvrirez plus tard, je suis d’une mauvaise foi frisant la vulgarité.
Tous les expats quasiment avaient quitté Pyongyang pour les vacances de Noël, et je me sentais tout petit dans l’appartement, n’osant plus bouger. J’avais tenté de passer quelques coups de fils, mais les téléphones étaient coupés. Ça devenait un peu étrange comme ambiance. Les yeux rivés sur la ville qui s’étendait devant mon balcon, je guettais avec fébrilité un signe, des bruits, manifestation, enfin quelque chose qui me confirmerait que cette nuit était spéciale. Après avoir vidé trois bouteilles d’excellent vin (« je l’avais gardé pour une grande occasion, je crois que c’était le moment ») avec des amis, nous avons passé la soirée à rire, un peu nerveusement peut-être. Finalement, le monde n’avait cessé de tourner pendant ces quelques heures.
« Mardi vers 21 h 20, une grue de Mandchourie… »
« Lorsque Kim Jong Il est mort samedi, la glace du lac Chon sur le mont Paektu s’est brisée dans un bruit assourdissant tandis qu’une tempête de neige se levait ».
Where is my mind – the pixies
« Pour moi, Dieu est mort le 19 décembre », me dit mon traducteur Chol, droit dans les yeux, à 8 h 50, le lendemain. J’évitais bien sûr de lui mentionner qu’il était communément admis de par le vaste monde que Kim Jong Il était en réalité mort le 17.
« Tu vois, pour la mort de mon père, je n’ai pas pleuré ; là, je pleure depuis ce jour ».
Puis il m’affirma sans ciller que le grand Leader était mort de surmenage, « tellement il a fait, donné à son peuple ».
Pendant ce temps, le site d’information officielle du pays (KCNA) annonçait très sérieusement que « Lorsque Kim Jong Il est mort samedi, la glace du lac Chon sur le mont Paektu s’est brisée dans un bruit assourdissant tandis qu’une tempête de neige se levait ». Le Mont Paektu est la montagne sacrée du pays, et pour cause. Le grand Leader y serait né dans une petite cabane toute délabrée, un peu comme Jésus, alors que son révolutionnaire et libérateur de père faisait la guerre aux Japonais. Apparemment les historiens s’accordent à dire qu’il est né en Sibérie, mais c’est loin.
Toujours, selon KCNA, la tempête de neige s’est arrêtée brusquement mardi matin, laissant le soleil levant illuminer le sommet enneigé. À ce moment, la signature de Kim Jong Il est apparue sur la montagne, indiquant « Mont Paektu, montagne sacrée de la révolution ». KCNA, qui décidément était en forme, a ajouté qu’une lueur avait été aperçue sur le sommet lundi pendant une demi-heure, après l’annonce de la mort du dirigeant au pays. Puis, « Mardi vers 21 h 20, une grue de Mandchourie a volé trois fois autour de la statue avant de se poser sur un arbre. La grue y est restée assez longtemps, la tête courbée, avant de s’envoler vers Pyongyang ». KCNA a conclu : « Voyant ce phénomène, le directeur du site révolutionnaire de Hamhung et d’autres ont tous dit que même cette grue semblait attristée par la mort de Kim Jong-il, fils du ciel. »
Je continuais mes recherches sur internet, cherchant des sites d’information, comment dire, un peu plus objectifs que KCNA. Une présentatrice canadienne faisait déjà son petit buzz en annonçant le « décès de Kim Jong Deux ! ».
« Nous avons déjà la gerbe dans la voiture »
Silicone baby – Babx
Ce matin, le chef de nos collègues coréens, Monsieur Ri, avec une tasse à la main et un air de circonstance, nous a prévenu que nous allions déposer une gerbe de fleurs cette après midi sur la place Kim Il Sung. Il a bien sûr fallu se raser et se mettre en costume. Sur le parking, j’évitais de sourire devant les mises apprêtées des uns et des autres. Nous étions groupés, fumant pour la plupart, autour du minibus, sans un bruit. M. Ri est un homme grand, sec et nerveux. Sa pomme d’Adam proéminente se balade sans cesse le long de sa gorge et l’on devine sa contrariété quand sur son visage se crispent ses mâchoires, à la manière de Tom Cruise. Monsieur Ri est avenant, quoique d’un naturel peu bavard. Mais là, c’était silence absolu, pomme d’Adam en balade et visage crispé. Il dit juste :
« Nous prenons les 4×4. Nous avons déjà la gerbe dans la voiture. »
J’ai senti que Youri aurait préféré prendre le minibus où tout le monde rentrait, et je lui ai fait un petit signe. Il était important que notre bureau fasse belle impression. Pas de minibus.
Nos deux gros 4×4 brillaient de mille feux et nous n’avons pas eu à rougir en rentrant sur le côté de l’immense place Kim Il Sung. Notre officier de liaison se tenait à la place du mort. C’était comme ça, il fallait toujours qu’il passe devant. Quand ce n’était pas lui, il était remplacé par un autre Coréen. Nous autres expatriés, nous devions toujours être à l’arrière quand nous étions en officiel.
Le chauffeur se gara auprès des autres 4×4 des internationaux : Nations Unies, Croix rouge, ONG, entreprises… Une bonne trentaine de voitures. La place Kim Il Sung, grande de deux hectares à peu près, était pleine comme les Galeries Lafayette le premier jour des soldes. Cette place illustre parfaitement l’architecture communiste. Tout y est symétrique, dans des proportions gigantesques. Le compound se situe de l’autre côté de la rivière.
Pour arriver à la place, il faut passer devant la tour du Juché, qui est parfaitement dans son axe. Juste après, traversez la rivière sur le pont métallique (dit « pont japonais ») et vous vous retrouvez avec la tour du Juché d’un côté et la grande place de l’autre. En face, un gigantesque portrait de Kim Jong Il avait été installé sur la devanture de la bibliothèque du peuple. À gauche, se tient le musée des Beaux-Arts suivi, après la route, d’un bâtiment ministériel orné des portraits de Marx et de Lénine. À droite, le ministère de l’Intérieur s’enorgueillit d’un portrait de Kim Il Sung et d’un gars en train de jouer de la trompette avec une casquette militaire. Dans l’alignement, le ministère des Affaires étrangères. Pas de terrasse de café, pas de flâneur. Avantage principal : peut contenir un nombre substantiel de Coréens, notamment rangés en colonnes et en lignes bien agencées. Pratique.
L’unique son du tissu
Killing in the name – Rage against the machine
Des groupes venaient, en ligne, déposer exactement en même temps leur gerbe de fleur, puis s’incliner de concert. L’unique son perceptible était celui du tissu qui se pliait. C’était à qui s’inclinerait le plus loin. Certains Coréens jetaient un petit coup d’œil à droite ou à gauche pour voir jusqu’où s’inclinaient leurs voisins. Pas mal de gens en pleurs, certains se jetant à genoux. Tout ceci fut rapidement interrompu par un officiel, qui pria les gens d’aller s’attrister un peu plus loin. Il fallait faire place nette aux étrangers venus pour l’hommage. Précédées d’une dizaine d’appareils photo et caméra, fixant ce moment pour l’éternité, une cinquantaine de personnes de tous pays, inconnues du monde entier fendirent littéralement la foule, affublées de mines de circonstances et de fleurs de pacotille. On nous a disposés en lignes successives, et nous avons observé. Je sais que je me suis posé la question : « Quelle est la pose appropriée dans ce genre de circonstances ? Faut-il se prosterner ? Jusqu’où ? Combien de temps ? ». Une prosternation franche serait comme un signe d’allégeance au défunt leader.
D’un autre côté, sur la place presque un million de Coréens étaient derrière nous à nous observer. Nous étions passés devant eux, avec autant de discrétion qu’une fanfare de supporters de rugby ; tous les regards étaient par conséquent braqués sur nous, sans compter ceux des téléspectateurs. Si je m’inclinais trop et que les images étaient retransmises en France, de quoi aurais-je l’air ? Certainement d’un imbécile. Que ferait Sarah ? S’inclinerait-elle ? Jusqu’où ? Si je ne me prosternais pas assez, cela revenait à déchirer ma chemise devant ces millions de Coréens en chantant du Rage against the machine.
Par chance, je ne faisais pas partie du premier wagon. J’observais donc attentivement le comportement de ceux, plus expérimentés dans le domaine de la diplomatie. L’inclination s’étendait sur une gamme relativement variée, bien sûr beaucoup plus modeste que celles de nos congénères coréens. Je me contentais de regarder mes chaussures tout en jetant un coup d’œil vers un collègue indien qui me semblait fiable.
Nous avons quitté la place dans un silence de mort, finalement assez en accord avec la situation. Les 4×4, sans aucun jugement, nous attendaient dans le froid, brillants. Mines de circonstance encore, mines que nous n’avons pas quittées avant un bon moment. Je me sentais brusquement terriblement seul. Sans ma moitié et mes deux petits quarts. Je m’interrogeais alors sur la pertinence de nos choix. Notre famille, mes fils pleins de vie, transposés dans ce pays où une foule vêtue à l’identique est si disciplinée qu’elle peut rester des heures à moins quinze degrés tout en formant des lignes parfaites sur une surface grande comme le champ de Mars ? Je regardais en passant les gens de tous âges marcher dans le froid.
Mon traducteur, enthousiaste, me dit une heure plus tard que le successeur de Kim Jong Il, Kim Jong Un, futur Leader, avait pris deux décisions concernant le deuil. La première était que des stands distribueraient des boissons chaudes aux endeuillés. Étant donné le froid mordant de la période, il incitait également les habitants à ne pas se départir de leurs manteaux. En effet, la tradition veut que pour réellement rendre hommage, il faut se dévêtir de son pardessus.
« C’est un grand humaniste » me dit Chol, sans sourire.
– …
– Et il a vraiment du charme
– … ! »
Où il est question de degré d’inclinaison
Positively inclined – Wax Taylor
Depuis des jours, les habitants de Pyongyang se pressaient, par centaines de milliers, par unités de travail, d’habitation, équipés de fleurs en papier. De temps en temps, certains d’entre eux avaient une faiblesse et éclataient en sanglot, imités aussitôt par leurs concitoyens. Tout cela était parfaitement ordonné. Personne ne traversait la route, empruntant les passages souterrains pour piétons. Le calme régnait, partout ; et pas mal de magasins étaient toujours ouverts. (…) J’étais inquiet, car la vie qui semblait jusqu’alors relativement facile pour nous étrangers, prenait un tour assez sinistre et soudain peu favorable à la vie d’une famille épanouie. Tout cela manquait considérablement de fun. Dans l’incapacité de me déplacer hors de notre ghetto, mes journées étaient rythmées par un travail exclusivement de bureau, avec un contact restreint avec l’extérieur.
Nous devions prendre garde à nos communications. En temps normal, une certaine psychose quant à l’éventuelle écoute de nos conversations et la lecture de nos emails prévalait. Dans cette période trouble, la prudence s’imposait. Une fine couche de morosité s’amoncelait dans l’air. Nos collègues coréens affichaient des têtes de six pieds de long. Impossible de les dérider, sans vilain jeu de mot. Ils venaient au travail mais trainaient en bâillant, fumaient forces cigarettes et regardaient la télévision pour la énième retransmission surpassant les précédentes de tristesse. Le tube de cette période fut un air sinistre joué partout, en toutes circonstances, et qui emplissait entièrement la tête d’instruments à vents mornes et fatigués.
C’est à coups de baguette molle que l’emprise psychologique s’est installée, à la manière du supplice de la goutte d’eau. Rien de franchement traumatisant en soi, mais des petites giclées d’acide qui vous maintiennent le ventre compressé, et les nerfs à hauteur d’épiderme.
Cette musique que nous entendions partout agissait comme un instrument de harcèlement moral. Elle répétait à l’envi « soit triste, le Grand Leader vient de mourir » et me fut rapidement insupportable. Elle maintenait sous pression et ses premières notes agissaient de manière pavlovienne en m’asséchant la gorge, alors même que je n’étais pas franchement triste. C’est à coups de baguette molle que l’emprise psychologique s’est installée, à la manière du supplice de la goutte d’eau. Rien de franchement traumatisant en soi, mais des petites giclées d’acide qui vous maintiennent le ventre compressé, et les nerfs à hauteur d’épiderme.
Pas grand monde aux alentours. Nous nous retrouvions dans les appartements, vidés, sans grand-chose à raconter. Nous buvions des bières Taeddongang, avec le sentiment que pas grand monde ne pouvait comprendre ce que l’on vivait. J’essayais de raconter, mais le factuel ne rendait pas du tout compte de ce harcèlement quotidien. (…)
Dans l’appartement où les derniers survivants étaient réunis, il n’y avait qu’une conversation sur toutes les lèvres : le degré d’inclinaison. Car le lendemain, il y avait cérémonie. Nous allions voir le corps du défunt au Palais des commémorations.
« Moi, franchement, je ne veux pas m’incliner devant la dépouille de ce pourri
– À mon avis, c’est une connerie de ne pas s’incliner. On s’en fout de qui c’est, mais il faut penser à nos relations avec le staff.
– Moi je m’en fous pas, c’est un dictateur. Il a du sang sur les mains. Si tu veux t’incliner devant ça, pas de problème. Moi, je ne le ferai pas, c’est tout.
– Oui mais toi comme moi avons accepté de venir bosser ici, en toute connaissance de cause. Et on bosse pas pour le régime, on bosse pour les gens. Ne pas jouer le jeu, c’est mettre en danger les personnes avec qui on bosse.
– Oui, mais on n’est pas obligé de tout accepter. Moi je ne suis pas ambassadeur, je suis un citoyen. Et j’ai le droit de ne pas courber l’échine.
– Bon, moi en tout cas, je vais me fringuer, jouer le jeu, manger un peu mon chapeau, m’incliner chouia, juste assez. Pour moi, c’est une question de respect vis-à-vis des seuls Coréens qu’on connaisse.
– Je comprends, mais je ne peux pas me torcher avec mes convictions. »
Une mini planète en costard
Desperado – Antonio Banderas&los lobos
Ce matin-là encore il fallut se raser. Direction une veillée du corps à l’échelle d’un pays, dans le Palais des commémorations où reposait aussi Kim Il Sung, dans sa boîte en verre aussi. Comme pour son père, ce sont des embaumeurs russes qui sont venus travailler son corps. Dans le Toyota rutilant, peu de paroles échangées. La place Kim Il Sung vit alors défiler un cortège de tout-terrain remplis de vestes et de cravates et décorés de stickers sur le flanc. Monsieur Ri se tourna vers nous :
« Il ne faut rien prendre dans les poches ».
– Est ce qu’il faut les passeports ? »
Monsieur Ri tira nos passeports de sa poche. Nos papiers d’identité ne nous appartenaient plus. Ils étaient en libre accès dans l’armoire en fer de notre administratrice. Je me renfrognais, sous le regard plein d’incompréhension de Chol.
« Quentin, c’est juste pour qu’on les oublie pas ».
Il ne pouvait pas comprendre, je ne sais même pas s’il a une carte d’identité. Celle-ci est remplacée par un papier d’autorisation à être là, puis ici. En somme, sa présence en un lieu, donc son existence est constamment remise en cause. Et encore, il a ces petits papiers de couleur, que d’autres n’ont pas.
C’était toute une mini planète en costard : Inde, Népal, UE, Syrie… le monde entier avec l’axe du mal et l’axe du bien mélangés. Tout est si loin ici que les Syriens nous semblent si proches…
Des cars nous attendaient. Tous les mêmes, avec des numéros dessus. Devant chaque bus, un militaire avec une liste écorchait allègrement nos prénoms, que nos traducteurs traduisaient. Les sorties en car ont toujours un côté visite de fin d’année au collège, mais tout le monde demeura stoïque et silencieux.
Au bout d’une bonne poignée de minutes, les bus se sont mis en route pour la première étape, direction le palais du peuple. On mena tous les étrangers du pied du bus à une salle, fermée. On nous avait retiré nos traducteurs, nos téléphones. L’ensemble de la communauté internationale était regroupé là, vulnérable. Pendant quelques minutes, un grand silence. Il y avait quelques murmures. Après avoir traversé des portiques et donné nos passeports, nous sommes remontés dans les bus. (…) Le bus traversa la ville, pour arriver au Palais des commémorations. Sur le parking, juste avant d’arriver, je demandais :
« Monsieur Ri ? Quel est le protocole ? Y’a t’il des choses à faire ou ne pas faire ?
– Faites comme moi et ça ira ».
Avant que je n’aie pu protester, il s’était éloigné.
« Il faudrait enlever les manteaux, nous dit Chol
– Mais il fait froid ! Vous auriez pu nous prévenir !
– Mais c’est évident, pour présenter ses hommages, il ne faut pas garder le manteau » s’énerva Monsieur Ri, raidi par le froid et les convenances.
De mauvaise grâce, nous avons déposé nos manteaux. Moins quinze degrés. Comme des esquimaux chocolat/praliné, nous avons avancé dans la file d’attente le plus dignement possible. Au bout de quelques minutes, nous avions les muscles raidis et les quelques paroles échangées sortaient de mâchoires contractées pour éviter qu’elles ne s’entrechoquent. Les gardes, impassibles, la jugulaire et le canon de la kalachnikov pointés vers le ciel, ne nous jetèrent pas un regard. Je maudissais mes chaussures aux semelles si fines et mon oubli de maillot de corps. Les Coréens, habitués à ce genre d’habits, portaient en dessous du costume des espèces de pyjamas intégraux en pilou pilou, ce qui est moche, mais permet de survivre quelques minutes supplémentaires dans un froid intense. (…) Ce fut à notre tour de pénétrer dans le Palais.
Pas qu’il n’y fasse grand chaud. Mais trois degrés supplémentaires me semblèrent un véritable feu de cheminée, même si un courant d’air insidieux continuait à martyriser mes mollets.
Le palais était immense, vingt mètres sous plafond, moulures, marbre. Au sol, tapis rouge, au mur, des portraits des leaders, des fresques. Des gerbes de fleurs complétaient le tableau. La musique funeste nous accueillit et instantanément mon ventre se serra. Devant nous, une foule de dignitaires accompagnés de leurs homologues coréens. Tous en rang, le visage grave. Au fond de la salle immense, des têtes se courbaient, laissant apparaître une boîte en verre. J’étais impressionné par le nombre de militaires étrangers. Je ne les avais encore jamais vus et ne les ai d’ailleurs plus vus le restant de mon séjour. Des casquettes aux dimensions impressionnantes. Je n’ai pu m’empêcher de penser que la taille des couvre-chefs militaire d’un pays était peut-être inversement proportionnelle à la liberté d’expression de son peuple. Bien sûr, les poitrines de tous ces généraux étaient ornées de tant de métal qu’on aurait pu construire une fusée en faisant fondre toutes leurs médailles. Ces uniformes permettaient de décorer l’assistance, par ailleurs exclusivement parée de noir.
Je ne dénotais pas, vêtu fort élégamment ma foi d’un costume gris taupe à fines rayures gris parpaing, assorti d’une chemise gris hippopotame mouillé et d’une cravate bleu formel. Mes chaussures pointues et gigantesques en daim noir me torturaient les orteils et j’arborais un air d’autant plus compassé que j’étais soumis à un inconfort total, inquiet de l’avenir de ma famille et à l’idée de faire un faux pas devant des milliers de personnes. Écrasé par l’événement, j’ai parcouru la cinquantaine de mètres nous séparant du corps du défunt Leader sur des jambes en coton glacé. À mes côtés, Chol devenait en avançant de plus en plus gris et pâle, passant du gris souris au gris béton qui s’effrite lamentablement par les infiltrations dans les mauvaises constructions.
Dans l’dos
Morgane de toi_Renaud
Un coup d’œil à ma droite m’a permis de constater qu’il tenait à peine sur ses jambes et avait la lèvre inférieure vibrante, et que la musique que nous entendions en boucle depuis notre arrivée était jouée par un orchestre de chair et de sang. Les musiciens jouaient en boucle ce morceau qui leur resterait sans doute collé au cerveau pendant des décennies. Nous avancions par groupes de vingt-cinq. Le cercueil de verre était placé de telle sorte que les pieds de Kim Jong Il étaient dirigés vers nous. Première inclination. Puis, il fallait se diriger vers le côté droit du corps. Deuxième coup de tête plus bref pour les motiver. Côté gauche, une petite dernière pour les puristes, et circulez. Je calculais rapidement que ma place dans la file me vaudrait un confortable milieu de mêlée au moment fatidique de la première prosternation. Les mains moites, j’attendais le moment où le groupe apporterait son hommage. Le groupe entier se prosterna à divers degrés.
Puis ce fut à notre groupe de faire le circuit. À mes côtés, j’entendis des sanglots étouffés. Je me retournais et vis Chol en pleurs, de grosses larmes coulant de ses yeux quasiment clos. Je lui mis la main sur les épaules et nous avancions au son des violons. Évitant le rai de lumière, je fixais mes chaussures, m’assurant de respecter l’étiquette. Quand Amina, juste devant moi arriva à la tête du cercueil, trois caméras se mirent en route pour filmer son air désolé. J’ai fini le circuit, la main encore une fois sur l’épaule de Chol, qui avait de nouveau éclaté en sanglots.
« Sa mère le deuil ! »
Town with no cheer_Tom Waits
Il était dix heures du matin et les premières notes de la chanson de deuil retentissaient déjà depuis la salle télé, collant immédiatement au cortex. Impossible de s’en défaire. Du coup, j’envoyai un texto à Nicolas et Amina « si on va pas se faire un resto ce soir, je me coupe l’oreille, façon Van Gogh ».
Ah ! Le lundi ! Retrouver les collègues coréens épuisés d’avoir passé le week-end à prendre des quarts dans les différents lieux de commémorations, afin que les fresques et les bouquets de fleurs en papier ne se retrouvent jamais seuls. Ils ne souriaient plus. Plus du tout. Sarah m’avait demandé lors d’un Skype si la douleur des Coréens était feinte ou non. Les images des différentes commémorations montraient des Coréens se jetant à terre, s’arrachant les cheveux. Les trois quarts du monde semblaient alors se rire de cette douleur supposée factice. (…)
Notre staff paraissait effectivement complètement effondré. Leur tristesse m’est apparue bien réelle, en tout cas dans les premiers temps. Elle a sans doute été remplacée progressivement par la fatigue, la surveillance mutuelle, l’inquiétude dans l’avenir… ce qui les amenait au moins à surjouer leurs émotions. Le spectacle offert par la foule de Coréens pleurant leur idole a néanmoins été très impressionnant et forcément difficile à concevoir pour nous comme un vrai élan de tristesse. Malgré le mal qu’a pu faire Kim Jong Il, de nombreux Coréens l’aimaient et le vénéraient. Ou le craignaient. (…)
Il était dix heures du matin et les premières notes de la chanson de deuil retentissaient déjà depuis la salle télé, collant immédiatement au cortex. Impossible de s’en défaire. Du coup, j’envoyai un texto à Nicolas et Amina « si on va pas se faire un resto ce soir, je me coupe l’oreille, façon Van Gogh ».
Le soir venu, nos collègues coréens partis du bureau, la voie semblait libre. J’ai fait chauffer le moteur pour éviter qu’il ne cale une fois sorti dans la ville, comme ça m’était déjà arrivé. À la sortie du compound principal, le garde s’avança ; je décidais de l’ignorer et je l’ai vu dans le rétroviseur décrocher son téléphone rouge. Il y avait eu des consignes, visiblement.
Cinquante mètres plus loin, je commençais à souffler, quand…
« Oh non ! On est en train de caler
– C’est pas vrai ! Là on est dans la merde si on se retrouve en panne en pleine nuit ! »
– Non mais là c’est une blague en fait ! »
Rires soulagés.
– Dis donc, ça faisait un moment que je n’avais pas ri.
– Et pourtant, on ne porte pas de costume en tergal marron qui gratte avec un pin’s ! »
Ah oui, ici, l’escalator ne s’appelle pas bêtement « escalator » puisqu’il a été inventé par Kim Jong Il en personne. Heureusement que j’étais venu me renseigner en Corée, je ne l’aurais jamais su sinon. On nous raconte tellement de bobards !
Nous sommes arrivés à l’hôtel Koryo, institution de Pyongyang avec ses délégations internationales et son restaurant tournant, accompagnés d’un quasi fou rire bien vite réfréné. Précédé de Nicolas et Amina, je pénétrais dans le hall tout de marbre et de silence (tiens, comme une tombe !), puis empruntais le Kim Jong Il escalier mécanique. Ah oui, ici, l’escalator ne s’appelle pas bêtement « escalator » puisqu’il a été inventé par Kim Jong Il en personne. Heureusement que j’étais venu me renseigner en Corée, je ne l’aurais jamais su sinon. On nous raconte tellement de bobards !
Comme à chaque fois, une légère appréhension de tomber en panne d’électricité en pleine montée me saisit. Il faut dire que les coupures étaient vraiment très fréquentes en hiver.
Au vingt-cinquième étage, la lumière faiblit pendant quelques secondes, ce qui m’occasionna un nouveau frisson dans l’échine… puis un fou rire devant nos mines contrites. Nous arrivâmes au restaurant tournant. Moteur ! Le mécanisme de rotation démarra. Tour de Pyongyang, M’sieur dame !
Les serveuses arboraient un air sinistre, complètement tassées par le deuil. Les traits tirés, elles écoutaient en boucle la marche funèbre qui passait à la télévision, alternée de litanies larmoyantes de la speakerine vedette de la télévision nationale.
« Oh non, ça nous suit partout »
Nicolas produit les premières notes de la mélodie, imitant le trombone, ce qui nous fit pouffer comme des écoliers qui bavardent au fond de la classe. La serveuse, équipée d’un costume traditionnel et d’un sourire à la fois triste et désolé, nous conduisit dans un bruissement d’étoffe à notre table, surplombant la ville faiblement éclairée.
Avec un air exagérément triste, la serveuse nous tendit les menus avec des « hasmida » à peine audible.
« Merci, trois bières et un cendrier » lui fis je en coréen, avec une voix murmurée et affectée à mon tour. Mes deux acolytes n’en purent plus et aussitôt la serveuse éloignée de la table, partirent en éclat de rire étouffés.
« Elle ne se rend absolument pas compte de son potentiel comique. »
Joie ! Bières, cigarettes ! D’importation ! Renversant la tête en arrière, tirant un rond de fumée, j’appréciais cet instant, lorsque, tout à coup, le son de la télévision augmenta.
La serveuse, qui avait nuancé son air désolé d’une mimique un peu agacée et désapprobatrice devant nos mines réjouies, nous déposa une plaque chauffante de calamars et de salade (préciser sans mayonnaise) de saison. Un petit « ha » de satisfaction salua le geste. Les baguettes en métal s’entrechoquèrent de concert et cueillirent les tentacules baignées de jus.
« Vous pensez qu’ils passent du volume en ce moment, niveau fruits de mer ?
– Oui, il y a une délégation en ce moment. Par contre, ils ne doivent pas trop être approvisionnés.
– En tous cas, ils sont encore approvisionnés en ail !
– Ça doit être inscrit dans le Juché « jamais tu ne manqueras d’ail, ou ta famille entière moisira en camp de travail »
– Chut, quand même, il faut considérer qu’on est en permission. Prison avec sursis. A la moindre connerie, on risque d’être privés de sortie
– Nous dans notre bureau, ça nous a été demandé de manière officielle, de ne pas sortir du compound, nous dit Nicolas.
– D’ailleurs, ils avaient raison. Le risque était qu’on se marre, et là ça rate pas, tu mets des Français avec un peu d’alcool et de la bouffe. Ils font quoi ? Ils parlent fort, se sentent supérieurs et se marrent.
– On est vraiment des dégénérés de capitalistes. »
On se regarde et on repart dans une bonne dose de rire.
« J’ai mal partout, de rire comme ça après tout ce temps. Ah là là ! Sa mère le deuil ! »
Dernier round
Eye of the tiger_Survivor
La mousse laissait entrevoir des zones de peau. L’eau était froide. L’acier accrocha sur le menton. Les poils s’accumulaient entre les deux lames. Je tapais le rasoir sur le rebord du lavabo, pâle comme mon visage. Je me demande pourquoi chaque année plus de lames ? C’est cela le capitalisme, faire avec plus et plus cher, pour le même résultat. En attendant, ma peau séchée par le vent sec de Pyongyang n’aimait pas cet énième rasage. Tout ça pour faire bonne figure sous le froid et la neige, pour voir passer une voiture blindée noire avec un cercueil dessus.
De longues heures plus tard, je rentrais dans l’appartement, transi. Pas de lumière. J’éclatais en sanglot nerveux, pendant que Amina faisait chauffer de l’eau pour un grog et que Nicolas me versait un rhum, que j’avalais d’un trait
« C’était de la torture ! Six heures ! Six fucking heures !
– On est resté combien de temps à l’abri. Une heure ?
– A peine deux heures. Le reste du temps, on est resté comme des glands à attendre sous la neige !
– Et ce monde, partout ! Je n’ai jamais vu ça, dit Nicolas, les yeux dans le vague, en sirotant le breuvage brûlant.
– Dire c’est un truc de fou ne veut plus rien dire maintenant pour moi. C’est comme si j’avais été plongé dans un bain de folie pure, concentrée. Les gens au passage de la voiture, qui se jetaient à terre, en hurlant. Non vraiment, on pourrait écrire un bouquin sur ce qu’on vit dans ce pays ! dit Amina
– Non, mais le pompon, c’est quand même tous les gens qui, sachant que le corbillard allait arriver ont commencé à enlever leurs manteaux et à les poser sur la route pour que la voiture n’ait pas à rouler sur la neige !
Les mains dans les cheveux, grelottant, je revois cette scène fantomatique où tous suivirent ce geste fou. Des centaines, des milliers !
– Ils devaient mourir de froid !
– Je sais pas, je sais pas, je sais plus rien. Je suis en colère, atterré, consterné et tous ces mots n’ont pas de sens. Le seul truc qui me vient, c’est « ben putain ! »
Secouant la tête comme celui qui pour la première fois de sa vie voit passer un avion dans le ciel, je retournais à la cuisine chercher une théière de grog
« Y reste une bouteille de rhum en stock ? »
Le carnet de voyage Le Pays où Dieu est mort de surmenage de Quentin Pirmil a été publié dans le magazine de voyage Bouts du mondeNuméro 16